Matteo Salvini, Emmanuel Macron et Luigi Di Maio. / ALBERTO PIZZOLI,LUDOVIC MARIN,VINCENZO PINTO / AFP

La France a rappelé son ambassadeur à Rome, jeudi 7 février, afin de protester contre les provocations du gouvernement populiste au pouvoir à Rome. Luigi Di Maio, vice-président du conseil italien et chef de file du mouvement 5 étoiles (M5S), a rencontré mardi des représentants des « gilets jaunes » et, dans une tribune au Monde, justifie sa visite. Matteo Salvini et Luigi Di Maio ont tous deux accusé Paris de se servir du franc CFA pour financer la dette française. Le partage du pouvoir, à Rome, entre le M5S et la Ligue du Nord (extrême droite) de Matteo Salvini, ministre de l’intérieur, tourne au profit du second. Lors d’un tchat, Marc Semo, journaliste au « Monde », a répondu à vos questions sur la crise entre la France et l’Italie..

Stan : Au-delà du symbole, à quoi sert un rappel d’ambassadeur ? Quelles sont les conséquences au niveau de l’ambassade ?

Marc Semo : Les conséquences pratiques sont faibles, car une ambassade, surtout dans une grande capitale comme Rome, c’est une très grosse équipe et chaque ministère, éducation, finances, etc., a son représentant. En revanche, quand il n’y a pas d’ambassadeur, il est par exemple impossible ou quasi d’organiser une visite ministérielle, et encore plus celle d’un chef de l’Etat si la question se posait. En général, le rappel de l’ambassadeur est temporaire, juste quelques semaines.

Palcoo : Les performances économiques italiennes sont très mauvaises, en fin d’année 2018. Cette fixation sur la France n’est-elle pas un moyen de détourner l’attention des électeurs ?

M. Se : Evidemment, toute cette polémique et la multiplication des provocations verbales s’expliquent par la proximité des élections européennes et par les rivalités internes au sein de la coalition au pouvoir. La Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini pèse, dans les sondages, quelque 34 % des voix, doublant son score depuis les dernières élections, et le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Luigi Di Maio plonge, avec 17 %, la moitié de ce qu’il avait remporté aux élections. D’où les surenchères de son leader, qui rencontre les « gilets jaunes », accuse la France de colonialisme en Afrique, et le franc CFA de créer la misère, et donc l’exode, vers les côtes italiennes, alors que Salvini dénonce « un très mauvais président » et appelle le peuple français à se révolter.

Sylvie : Quel est le rapport de force entre Giuseppe Conte et MM. Salvini et Di Maio ?

M. Se : Le rapport de force, aujourd’hui, au sein de la coalition, est en faveur de Salvini… et ce gouvernement va éclater avant ou après les élections européennes, car le leader de la Ligue vise des élections anticipées, où il pourra s’affirmer comme la première force politique du pays et prendre l’hégémonie sur toute la droite italienne.

Sacha : Quel est l’intérêt, pour des ministres italiens, de rencontrer des « gilets jaunes » français ?

M. Se : Le Mouvement 5 étoiles est aussi un mouvement à la recherche d’alliés en Europe, et ce mouvement inclassable fondé par le comique Beppe Grillo en mélangeant des thématiques d’extrême droite et d’extrême gauche a de la difficulté à trouver des partenaires… d’où cet intérêt pour les « gilets jaunes », au-delà des effets de manche pour la campagne électorale.

Fitz : Lors de la coupe du monde on a vu beaucoup de jalousie teintée de racisme… se pourrait-il que la France joue tout simplement le rôle de bouc émissaire, comme l’Allemagne vis-à-vis de la Grèce ?

M. Se : Il y a toujours eu une relation compliquée entre la France et l’Italie, avec côté italien une certaine irritation chronique vis-à-vis de l’arrogance française… Cela s’est accentué ces derniers mois, y compris à cause de certaines maladresses d’Emmanuel Macron, par exemple son activisme diplomatique sur la Libye, qui semblait laisser de côté les Italiens, pour qui l’ancienne colonie reste une zone d’influence traditionnelle. En outre, le président français, à la veille de l’été, avait attaqué bille en tête l’irresponsabilité et le cynisme de Salvini sur les migrants qu’il refusait de laisser débarquer dans les ports italiens. Et il avait décidé de faire du clivage « progressistes ouverts au monde » contre « nationaux-populistes repliés » la grande dominante de sa campagne pour les européennes. Salvini avait beau jeu de répondre sur le même terrain et de jouer l’escalade, à la grande joie d’une partie de son opinion.

Pétrone de Gondi : Je ne comprends pas le changement d’opinion de la part du M5S à l’égard du président Macron. Au départ, ils semblaient l’apprécier. Mais peut-on imputer ce changement à la seule Ligue, ou est-ce le président qui est présent au mauvais moment, à cause des années d’incompréhensions grandissantes entre français et italiens ?

M. Se : Vous rappelez à raison que Luigi Di Maio était au début fasciné par Emmanuel Macron… Mais son mouvement manque autant de cadre que de maturité, et sur de nombreuses questions, il est tenté par une facile démagogie europhobe… d’où l’alliance avec la Ligue de Matteo Salvini et cette dérive vers des positions de plus en plus populistes. Ce, d’autant plus que la Ligue, elle, a une expérience du pouvoir au niveau local et gère plutôt bien les villes qu’elle administre, alors que le M5S est totalement dépassé, aussi bien à Rome qu’à Turin… d’où leur fuite en avant dans les polémiques avec la France.

Julien10 : Pourquoi la France n’a pas saisi la Commission européenne pour ingérence ? Des ruptures diplomatiques peuvent-elles être possibles dans deux Etats de l’Union européenne ?

M. Se : Parce que c’était long, technique, et peu spectaculaire. Paris voulait marquer le coup.

Mathilde : Quelle tournure probable vont prendre les événements à la suite de cet épisode ? La France attend-elle des excuses ou bien les choses devraient-elles rentrer dans l’ordre très rapidement ?

M. Se : Cela va probablement continuer à tanguer jusqu’aux élections européennes, voire jusqu’à des élections anticipées en Italie, car c’est un bon thème de campagne aussi bien pour la Ligue que pour le Mouvement 5 étoiles.