Réforme de la justice : dialogue de sourds avec le Sénat
Réforme de la justice : dialogue de sourds avec le Sénat
Par Jean-Baptiste Jacquin
Les sénateurs débutent, mardi 12 février, la seconde lecture du projet de loi de programmation de la justice. Un compromis avec le texte voté par l’Assemblée paraît exclu.
Le Sénat, en 2012. / JOEL SAGET / AFP
Les sénateurs devaient commencer, mardi 12 février après-midi, l’examen en seconde lecture du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Un texte tentaculaire sur lequel les positions du Sénat semblent irréconciliables avec celles du gouvernement et de la majorité La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale.
En écho aux protestations des organisations de magistrats, de greffiers et d’avocats, la commission des lois du Sénat a limité la souplesse que la chancellerie souhaitait introduire dans la gestion des contentieux par les différentes juridictions d’un même département. Plus sensibles aux droits de la défense, les sénateurs ont une nouvelle fois rejeté les articles étendant le recours aux techniques spéciales d’enquête (géolocalisation, écoutes, etc.) à toutes les infractions punies de trois ans de prison ou plus. Ils ont également supprimé la possibilité d’imposer à un détenu la visioconférence pour une audience de prolongation de détention provisoire.
Surtout, la commission des lois, présidée par le sénateur Les Républicains (LR) de la Manche Philippe Bas, a déjà réintroduit dans le projet de loi avant son examen en séance publique des dispositions dont il sait que les députés, qui auront le dernier mot sur ce texte en mars, les bifferont d’un trait de plume. Ainsi, le Sénat va voter, comme en première lecture, une augmentation des moyens de la justice autrement plus ambitieuse que celle inscrite par le gouvernement. Les sénateurs veulent une remise à niveau budgétaire sans précédent (+33,8 % en cinq ans) compte tenu du délabrement de la justice. Une hausse jugée irréaliste par Nicole Belloubet, garde des sceaux, qui se targue d’avoir obtenu une augmentation des crédits de 24 % sur le quinquennat, qui déroge déjà franchement avec la trajectoire budgétaire imposée par Matignon.
Vertus des petites peines
Cette bataille de chiffres s’explique notamment par les divergences d’approche sur la peine de prison. Là où le gouvernement veut limiter les courtes peines d’emprisonnement et laisser possible leur aménagement jusqu’à un an de prison (contre deux ans actuellement), les sénateurs croient aux vertus de ces petites peines et limitent au contraire les possibilités de les aménager. Le Sénat prévoit en conséquence des crédits pour construire 15 000 places de prison supplémentaires en cinq ans, là ou le gouvernement en prévoit deux fois moins.
Les débats engagés depuis plus d’un an maintenant autour de cette réforme n’auront pas permis non plus de rapprocher les points de vue sur la création d’un parquet national antiterroriste (PNAT). Sur le modèle du Parquet national financier créé dans la foulée du scandale Cahuzac, ce nouveau parquet serait constitué à partir de l’actuelle section antiterroriste du parquet de Paris ainsi que des magistrats en charge de la prolifération des armes de destruction massive et des crimes de guerre ou contre l’humanité.
Le gouvernement justifie cette création, qui ne fait pas l’unanimité dans la magistrature, par le caractère complexe et la dimension internationale des enquêtes. Surtout, ce serait une façon de permettre au parquet de Paris de ne pas être phagocyté par la lutte contre le terrorisme. Répondant à l’une des principales réserves que le Conseil d’Etat avait émises sur le PNAT, le gouvernement a prévu une « liste de crise » qui permettra en cas de nouvel attentat de masse de mobiliser des magistrats du paquet de Paris. Mais, la Commission des lois du Sénat a retiré le PNAT du projet de loi jugeant cette création « porteuse d’aucune amélioration véritable dans le fonctionnement de la justice ».
Quant à la demande d’habilitation du gouvernement pour réformer la justice des mineurs par ordonnance, il s’agit d’un casus belli avec le Palais du Luxembourg. Cette disposition, introduite sur le tard par un amendement de Mme Belloubet en séance à l’Assemblée n’avait même pas été évoquée en première lecture au Sénat. Le réveil tardif de la chancellerie sur un volet majeur de la législation que les précédents gouvernements ne sont pas parvenus à moderniser a donné le sentiment de voler ce sujet aux parlementaires. Les engagements de la garde des sceaux à associer sénateurs et députés à la rédaction de cette ordonnance n’ont pas suffi à rassurer.