Quand la Fondation abbé Pierre « distingue » les dispositifs anti-SDF
Quand la Fondation abbé Pierre « distingue » les dispositifs anti-SDF
Par Pierre Bouvier
La Fondation dénonce les politiques urbaines consistant à éloigner ou à rendre invisible les SDF dans les centres-villes sans chercher à apporter de réponse au problème de l’exclusion.
Le prix du dispositif le plus agressif a été décerné à une agence bancaire du 2e arrondissement de Paris. / Pierre Bouvier - Le Monde
Il y a les grilles, les picots, les rochers, les poteaux, les bancs et sièges inconfortables, les grillages, les douches… En matière de mobilier anti-SDF, l’imagination ne trouve aucune limite. Une série d’aménagements installés à Biarritz, Paris, Toulouse, ou des arrêtés municipaux pris à Besançon ou Eskilstuna, en Suède, se sont vus remettre, mercredi 13 février, les premiers « Pics d’or » de la Fondation abbé Pierre.
« Aujourd’hui, on vit dans un monde où chaque problème a sa solution : un pauvre dort dans la rue ? Bam ! On met des piques anti-SDF », plaisantait l’humoriste Guillaume Meurice, lors de son intervention, pour ce qu’il a appelé la « nuit des Césars, version SDF ».
En remettant six « récompenses » aux intitulés décalés – « Fallait oser du dispositif le plus décomplexé » pour un siège microscopique sous un abribus de Biarritz, « Faites ce que je dis, pas ce que je fais, du dispositif le plus contradictoire » devant un centre de santé parisien sur lequel est écrit « ouvert à tous », etc. – la Fondation voulait provoquer une prise de conscience, en alternant prises de paroles sérieuses et moments légers ou décalés.
« L’objectif de ces dispositifs – mis en place par les municipalités, les architectes, les urbanistes, etc. – est d’éloigner les SDF des centres-villes, de les rendre invisibles ou de les criminaliser, de manière plus ou moins insidieuse », a expliqué Christophe Robert, le délégué général de la Fondation abbé Pierre.
Rendre invisible ou criminaliser
La sociologue Marie Loison-Leruste a tenté d’interpréter ces éléments du mobilier urbain, estimant qu’ils sont le reflet de l’ambivalence des habitants des villes vis-à-vis des SDF : « Parfois ils nous émeuvent, parfois ils nous dégoûtent : les pauvres suscitent la peur, d’où cette tentative de criminalisation. »
A ces éléments parfois très design, comme les Couleuvres devant la gare de Nancy, s’ajoutent les arrêtés anti-mendicité, comme ceux pris à Besançon, La Roche-sur-Yon et Nice, et des mesures comme la fermeture de points d’eau en libre-service, à Marseille notamment.
« Il ne faut pas faire la guerre aux pauvres, mais à la pauvreté », a plaidé Christophe Robert, citant l’abbé Pierre. En 2017, la Fondation a lancé un site collaboratif, – soyonshumains.fr – qui a permis de répertorier plus de 300 équipements installés aux abords d’immeubles, de commerces et autres infrastructures publiques, pour empêcher les quelque 150 000 personnes sans abri recensées en France de s’installer.
Christian Page, ancien SDF qui a remis le prix du dispositif « le plus fourbe » – il évoque alors une jardinière de 200 kg apparue là où il avait l’habitude de dormir – estime qu’il est possible de faire bouger les municipalités. En décembre 2017, il avait alerté la mairie de Paris en dénonçant des « barrières anti-SDF » installées dans le 19e arrondissement qui couvraient plusieurs grilles d’aération d’où s’échappait de l’air chaud, empêchant les sans-abri de s’y allonger. Le centre de santé parisien a l’intention d’enlever ses dispositifs anti-SDF.
Au-delà de la provocation, la Fondation a mis en avant des initiatives comme celle du Carillon. Ce réseau regroupe 800 commerçants dans huit grandes villes de France qui permettent aux SDF d’accéder à des toilettes, de charger leur téléphone ou de prendre un repas payé par un client. « Cela permet de retrouver confiance en soi et de sortir des circuits spécialisés », soulignait Laura Gruarin, codirectrice de l’association.
La Fondation entend enfin promouvoir une Charte de 14 droits des personnes sans abri, revendiquant l’accès à l’eau, aux toilettes, aux douches, à la domiciliation. « Il ne faut pas oublier que ceux qui sont occupés à survivre ne sont pas habitués à prendre la parole », résume Christophe Robert.