A Lyon, les « gilets jaunes » sont descendus sur les quais du Rhône. / Hugo Ribes / Hugo Ribes / item pour Le Monde

C’est l’acte II de la mobilisation des « gilets jaunes ». Samedi 24 novembre, au moins 81 000 personnes sont mobilisées partout en France, dont 8 000 à Paris – selon un décompte du ministère de l’intérieur diffusé à 16 heures – pour protester notamment contre la hausse des prix des carburants. Les revendications de ce mouvement expriment toutefois plus globalement un ras-le-bol fiscal, un sentiment de perte de pouvoir d’achat et d’injustice sociale ou encore une méfiance à l’égard des responsables politiques.

A titre de comparaison, ils étaient 244 000 manifestants dans toute la France à la même heure, samedi 17 novembre, selon les chiffres officiels. L’estimation finale de cette journée a été de 282 000 participants, sur 2 034 sites à travers le pays.

Certaines manifestations ont été émaillées de tensions. Pour l’heure, le ministère de l’intérieur fait état de 35 interpellations et 22 gardes à vue. Huit personnes ont été blessées – parmi lesquelles deux gendarmes, contre 106 blessés samedi dernier à la même heure.

  • Extrême tension à Paris

Près de l’arc de Triomphe durant le rassemblement des « gilets jaunes », samedi 24 novembre, à Paris. / BERTRAND GUAY / AFP

Dans la capitale, près de 8 000 personnes ont manifesté, dont 5 000 sur l’avenue des Champs-Elysées, selon le ministère de l’intérieur. Les gilets jaunes avaient annoncé qu’ils n’iraient pas sur le Champs-de-Mars, seul lieu de rassemblement autorisé par la préfecture, craignant d’être « parqués ». Comme le 17 novembre, ils se sont donc regroupés sur la célèbre avenue. Différence de taille avec la semaine passée : ils sont venus cette fois de toute la France. Surtout, le dispositif policier a été extrêmement renforcé : quelque 3 000 membres des forces de l’ordre étaient mobilisés dans la capitale et les communes limitrophes pour ce seul événement.

L’atmosphère s’est transformée radicalement au fil de la matinée sur l’avenue. Les CRS ont très vite tenté de disperser la marée jaune avec fumigènes, gaz lacrymogènes et même un canon à eau, les repoussant vers la place de l’Etoile. Dans le même temps, des casseurs – certains portant des gilets jaunes, mais dont on ignore s’ils font partie du mouvement – ont commencé à desceller des pavés et faire des barrages avec du mobilier urbain. Quand les manifestants ont reflué sur la place de l’Etoile, les forces de l’ordre les ont aspergés d’une pluie de lacrymos, faisant suffoquer tout le quartier, y compris les clients des restaurants et des hôtels ou les passagers du métro.

Tous les « gilets jaunes » interrogés par les journalistes du Monde sur place considèrent que ce sont les CRS qui ont envenimé la situation. Ils s’estiment dans leur bon droit de manifester leur colère, y compris sur des avenues où la préfecture n’a pas autorisé leur présence. De son côté, la préfecture a fait état de « groupes à risque », tandis que le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a condamné la violence de « séditieux » d’ultradroite ayant intégré le mouvement des gilets jaunes à l’appel, selon lui, de la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen – ce que cette dernière a contesté. Pour l’heure, 26 personnes ont été interpellées, essentiellement pour des jets de projectiles, a annoncé la préfecture de police.

  • Ailleurs en France, une mobilisation paisible

A la différence de la manifestation parisienne, les rassemblements des gilets jaunes dans les autres régions semblent se passer dans une ambiance paisible, selon nos correspondants. A Lyon, un cortège de « gilets jaunes » s’est formé dans la matinée et a défilé calmement dans le centre-ville. A Toulouse aussi, les « gilets jaunes » ont manifesté dans le centre, alors qu’ils étaient restés en périphérie la semaine dernière. A Marseille, les manifestants ont bloqué les ronds-points du centre commercial de La Valentine, en traversant et re-traversant la chaussée, contribuant ainsi à former des embouteillages. A Montpellier, les « gilets jaunes » ont fait une haie d’honneur au cortège de la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, organisée à l’appel du collectif citoyen #NousToutes.

A La Réunion, un rassemblement s’est formé devant la préfecture. Le blocage du rond-point de la balance à Saint-Pierre, dans le sud de l’île, se poursuit pour le huitième jour consécutif, sans débordement.

A La Réunion, un rassemblement de « gilets jaunes » dans la ville du Port. / Morgan Fache/Collectif Item pour Le Monde

  • Des manifestants hétéroclites, des revendications partagées

Parmi les manifestants à Marseille, Mathieu, 32 ans, artisan-plombier, affiche un penchant pour le Parti communiste. Un autre manifestant dit avoir pris la carte du Front national en 2011. Michel, 66 ans, retraité du conseil général des Bouches-du-Rhône, a toujours été socialiste. Martine, retraitée, confie être membre de Debout la France, le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan, « mais je vois des gens de La France Insoumise… Personne ne met ses convictions politiques en avant », assure-t-elle.

Des manifestants aux sensibilités diverses, même si tous expriment la même colère : « On veut une baisse des carburants, une baisse des impôts, lance Emilie. Pas un chèque pour une voiture électrique. Qui peut se payer une voiture électrique ? » Avec une retraite de 650 euros et une petite pension de réversion de son mari, Martine réclame qu’« ils arrêtent de matraquer ceux d’en bas alors qu’ils suppriment l’ISF ».

A Lille, Bruno Lebourg, 47 ans, manifeste avec dix autres membres de sa famille. Technicien de maintenance, il est payé près de 2 500 euros par mois et ne se plaint pas, mais tient à ajouter : « Moi, ça ne me dérange pas de payer des impôts pour financer les services publics mais on est dans la tranche des couillons : on paye pour tout, quand les plus riches ne paient pas d’impôts. Il est temps que chacun paie sa juste part d’impôts ! »

Les Lebourg défilent en famille à Lille. / Edouard Elias pour Le Monde

A Toulouse, Fina, 28 ans, maître d’hôtel dans la restauration, s’est mobilisée pour que « les taxes diverses et variées cessent de peser aussi lourd sur le portefeuille du peuple ». Dans le cortège de « gilets jaunes » à Lyon, Maurice Nicolle, 83 ans, ancien contrôleur général dans la police, se dit « écœuré par les dépenses fastueuses du gouvernement et du chef de l’Etat ».

Maurice Nicolle, à Lyon. / Hugo Ribes/Collectif item pour Le Monde

« Il y a beaucoup de médias qui nous diabolisent et minimisent notre action. C’est pas grandiose ce qu’on fait, mais au moins on le fait. Nous ne sommes pas simplement des « gilets jaunes », nous sommes des citoyens, des citoyens mécontents. Des citoyens qui en ont marre du mépris des gens qui nous gouvernent », dit Manu, l’organisateur du groupe local des « gilets jaunes » à Strasbourg.