Humour : le conte moderne de la truculente Roukiata Ouedraogo
Humour : le conte moderne de la truculente Roukiata Ouedraogo
Par Sandrine Blanchard
Au Théâtre de l’Œuvre, à Paris, le seul-en-scène de la comédienne mêle drôlerie et émotion.
Retenez son nom : Roukiata Ouedraogo. Car le voyage initiatique dans lequel nous emmène cette comédienne burkinabée vous réconciliera sans doute avec l’exercice – parfois bâclé, parfois futile – du seul-en-scène humoristique. A travers un récit soigné, une mise en scène et en lumière ingénieuse, son spectacle dégage une certaine harmonie. Dans un juste mélange de drôlerie et de bienveillance, elle plonge le public dans des moments de vie truculents, des faubourgs de Ouagadougou au quartier Château-Rouge à Paris.
Roukiata Ouedraogo est née il y a trente-sept ans au Burkina Faso. La petite « Rouki » s’accroche à l’école, écoutant sa mère qui lui dit : « Ton premier mari, c’est ton diplôme. » A l’adolescence, elle dévore les telenovelas et a des rêves d’ailleurs. Elle s’imagine dans une école de stylisme aux Etats-Unis. Bac en poche, ce sera la France et des petits boulots. Radieuse dans sa robe en tissu batik, Roukiata Ouedraogo nous prend par la main pour nous raconter son histoire et interpréter mille et un personnages. Sans cynisme ni cliché.
Chaque saynète mélange le grave et le léger et porte un regard humain et délicat sur les décalages culturels entre la France et l’Afrique. Tour à tour caissière, nounou, maquilleuse et élève au cours Florent, rien n’a été simple pour cette jeune femme noire à l’accent burkinabé. Mais elle fait de ce témoignage personnel une sorte d’épopée drôle et émouvante.
Art de la métamorphose
On éclate de rire quand elle raconte Jacky et ses clientes dans le salon de coiffure de Chateau-Rouge ou les castings sans lendemain. Et on est au bord des larmes quand elle aborde l’excision et fait parler son clitoris. Jamais dans le pathos ou la moquerie, toujours délicate et attachante, elle s’emploie à porter un regard indulgent sur les peines et les joies qui ont ponctué son parcours.
Roukiata Ouedraogo, également chroniqueuse dans l’émission « Par Jupiter ! », sur France Inter, en a (presque) fini avec les galères. Après un passage remarqué au Théâtre du Lucernaire à Paris, la voilà sur la scène du Théâtre de l’Œuvre avec un spectacle très abouti et enchanteur grâce à l’humanité qui en émane. Sa joie de vivre est communicative, son expressivité souvent irrésistible. Je demande la route, formule africaine de politesse qui donne le titre à ce seule-en-scène, a l’allure d’un conte moderne et universel dans lequel cette comédienne-humoriste dévoile son art de la métamorphose.
Si, comme elle le dit, l’humour sert souvent à régler les conflits personnels au Burkina Faso, en France, le sien est un bain de jouvence.
« Je demande la route », texte et mise en scène : Stéphane Eliard et Roukiata Ouedraogo, au Théâtre de l’Œuvre, 55, rue de Clichy, Paris 9e. Jusqu’au 24 avril, tous les mercredis à 21 heures, puis en tournée.