Sept jours de jazz à La Havane (1/3) : de Tata Güines à Michael Jackson
Sept jours de jazz à La Havane (1/3) : de Tata Güines à Michael Jackson
Par Yannick Le Maintec
Blog spécialisé dans les musiques afro-caribéennes, « Le jazz et la salsa » s’est rendu au festival Jazz Plaza de La Havane, un événement aussi réputé que méconnu.
Affiche la 34è édition du festival Jazz Plaza de La Havane, Cuba. / JAZZ PLAZA 2019
La 34è édition du festival Jazz Plaza s’est déroulée du 15 au 19 janvier 2019 à La Havane, Cuba. Si de prime abord la manifestation apparaît comme un paradis pour l’amoureux du jazz afro-cubain, faire son choix parmi près de deux cents concerts se révélera cornélien. « Le jazz et la salsa » vous propose de découvrir les concerts emblématiques de l’édition 2019 de Jazz Plaza dans une série intitulée « Sept jours de jazz à La Havane ».
Le concert d’inauguration donné mercredi 16 janvier par le jazzman iconique Bobby Carcassés sera un passage obligé, précédé deux jours plus tôt d’une jam session au casting exceptionnel en hommage au percussionniste Tata Güines (1/3).
Le lendemain, place aux artistes internationaux : la britannique Joss Stone et le Preservation Hall Jazz Band de La Nouvelle Orléans. Harold Lopez-Nussa et Pedrito Martinez d’une part et les populaires Los Van Van d’autre part feront partie de notre plat de résistance (2/3).
Au menu samedi soir, trois formations emblématiques de la musique traditionnelle : le Septeto Santiaguero, Los Muñequitos de Matanzas et la Orquesta Aragón. Nous terminerons notre périple musical avec les grandes voix de Cuba, une soirée orchestrée par le pianiste Roberto Fonseca (3/3).
Une descarga pour Tata
Imaginez un All-Stars qui réunirait Ernán López-Nussa, José María Vitier, Bobby Carcassés, Horacio « El Negro » Hernández, Changuito, Yosvanny Terry, Jorge Reyes, Yaroldi Abreu, Alain Pérez, Pedrito Martinez et Daymé Arocena. Vous avez des étoiles plein les yeux ? Nous aussi.
Ce casting d’enfer a célébré lundi 14 janvier au club Paparazzi la fin du tournage du documentaire El Fifty consacré à Tata Güines par le cinéaste Juan Pin Vilar. Federico Arístides Soto Alejo, né en 1930 à Güines, disparu en 2008, dit « Tata » fut un des plus fameux congueros de Cuba, certainement le plus aimé. Dans l’audience, un véritable who’s who de la musique cubaine. On y croisera -au hasard- Issac Delgado, Raul Paz, Felipe Cabrera, Ibeyi, Maraca.
Un super-groupe adoubé par trois figures majeures. Le pianiste Ernán López-Nussa (oncle de Harold, famillier du public français) interprètera avec Yosvany Terry Esto No Tiene Nombre, originellement enregistré avec Tata et Don Pancho, le papa de Yosvany. Le pianiste José María Vitier, compositeur de l’inoubliable Fraise et Chocolat, formera un duo remarquable avec le conguero Adel González. Enfin Bobby Carcassés, le créateur du festival, aura une pensée sincère et émouvante pour le musicien avec qui il avait enregistré au début des années 80.
Tata Güines Jr rejoint aux tumbadoras Pedrito Martinez, Yaroldi Abreu et Adel González pour un jam durera de plus de 2H30 au total -le bonheur !-. Le pic d’émotion sera atteint lorsque la chanteuse légendaire Juana Baccallao, 94 ans, rejoindra, lentement mais surement, le rumbero Pedrito Celestino Fariñas, ancien membre de Yoruba Andabo et Los Muñequitos de Matanzas. Les Un autre duo de rêve, Pedrito Martinez et Daymé Arocena, interprète une version torride de Rompe El Cuero. On rêve d’un enregistrement. C’est à ce moment qu’Alain Pérez reprend la jam en main pour l’amener jusqu’à sa conclusion quelques trente minutes plus tard.
Bobby Carcassés, le 16 janvier 2019 au festival Jazz Plaza de La Havane, Cuba.
Le jazz de Bobby Carcassés
Jazz Plaza ne serait pas Jazz Plaza sans Bobby Carcassés. Ne serait-ce que parce que le jazzman fut à l’origine de la manifestation quatre décennies plus tôt. A quatre-vingt printemps, désormais président d’honneur, Bobby Carcassés est un incontournable du festival. Mercredi 16 janvier Bobby invitait à sa présentation « Afro Jazz y Timba Funk » au Teatro Nacional le saxophoniste cubain installé à New-York Yosvany Terry, le tromboniste états-unien Roger Glenn ainsi que son compatriote, le vibraphoniste et flûtiste Dick Griffin.
Fidèle à son habitude Bobby fera le show. Il chante, danse, passe du piano au bugle, scatte avec sa flûte, loue Ochun et Yemaya. Accompagné de Yosvany Terry au saxophone, il interprète No Seras De Mi. Ses versions de Caravan et de One Night in Tunisia sont définitivement Afro-Cubaines. Des danseurs illustrent le spectacle comme ce My Funny Valentine poignant.
A l’image de sa voix qui se voile, le show de Bobby paraîtra à certains suranné, telle une carte postale vieillie de la capitale cubaine. Imaginez que le chanteur a fait ses débuts avant la révolution ! Bobby est un monument de Jazz Plaza et fait partie de son charme. On ne peut lui dénier deux qualités : Il est un jazzman accompli, infatigable défenseur du genre, et bien que blanc de peau, c’est un véritable rumbero. Bobby Carcassés mélange avec une facilité déconcertante la tradition afro-cubaine au jazz traditionnel.
Quelle drôle de sensation, tout de même, que d’entendre au cœur de La Havane cette salsa gorda tout droit venue de Nueva York, brutale avec ses deux trompettes et ses deux trombones, agressive avec sa section rythmique tenue de mains de fer par le duo portoricain Bobby Allende (congas) et Marc Quiñones (timbales).
Ces deux amis d’enfance, musiciens précoces, furent sidemen pour les plus grands noms de la salsa, ont fait partie de la Combinación Perfecta de Ralph Mercado (sorte de Fania All-Stars des années 90) et brillaient encore récemment auprès de Rubén Blades et Wynton Marsalis à Jazz at Lincoln Center.
Au sein de leur formation, 8 y Mas, on reconnaîtra des pointures de la scène new-yorkaise comme le pianiste Arturo Ortiz ou le trompettiste Pete Nater. De la salsa dura à La Havane, un décalage bienfaiteur qui met chacun en valeur. A Jazz Plaza, les artistes locaux se font un honneur de participer aux shows. Et c’est Alexander Abreu, leader d’Havana D’Primera, qui s’y colle en mêlant avec bonheur sa trompette aux cuivres new-yorkais. Voilà qui ne semble pas pour lui déplaire…
"Unity", le concert-hommage à Michael Jackson de Tony Succar le 16 janvier 2019 au festival Jazz Plaza de La Havane, Cuba. / Yannick Le Maintec
Pour offrir au spectacle sa conclusion festive, le duo Allende-Quiñones avait invité Tony Succar à présenter son projet Unity qui fit les belles heures en France du festival Tempo Latino. Cette première présentation à La Havane était la suite du rêve pour ce jeune Péruvien installé à Miami qui avait réussi à convaincre Universal de signer son hommage latino à Michael Jackson alors qu’il n’était encore qu’étudiant.
La mécanique d’Unity est redoutable d’efficacité : A chaque hit du roi de la pop, sa (respectueuse) version salsifiée qui bascule en espagnol au dernier round. Si les moyens accordés au showcase havanais étaient en bien deçà du spectacle programmé à Vic-Fezensac, le résultat s’est révélé parfois meilleur grâce à un casting plus exigeant : au côté de l’impeccable Jean Rodriguez, parfait alter-ego de Bambi, nous découvrons le chanteur Angel Lopez. Nous sommes apparement les seuls. Toute l’assistance reprend à l’unisson les paroles de son tube A Puro Dolor. De Billie Jean à I Want You Back, de Human Nature à Smooth Criminal, chaque hit est une fête.
Le public cubain, connaisseur, ne s’y trompe pas et les gradins du Teatro Nacional se transforment rapidement en dance floor. Armé de sa basse magique, l’incontournable Alain Pérez se joindra à la fête en conclusion d’un concert mémorable. Où vivre ça ailleurs qu’à Jazz Plaza ?