Arte, dimanche 17 février à 20 h 50, cycle

Depuis dix ans, date de la sortie de Bellamy, le 25 février 2009, il a fallu apprendre à se passer du nouveau Chabrol. C’était pourtant une habitude solidement ancrée, vieille d’un demi-siècle (Les Cousins, le premier long-métrage de Claude Chabrol, était sorti en janvier 1959) et entretenue par l’appétit du metteur en scène : 54 longs-métrages, des segments de films à sketches, des épisodes de séries télévisées. La maladie et les années ont fini par l’empêcher définitivement – Claude Chabrol est mort le 12 septembre 2010, à 80 ans –, mais le besoin de sa compagnie (ou, plus exactement, de celle de ses films) ne s’est pas éteint, au contraire.

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La programmation que propose Arte permettra de l’assouvir. Aux nostalgiques et aux néophytes, elle propose trois longs-métrages et un documentaire inédit, signé de Cécile Maistre-Chabrol, fille de la dernière compagne (et scripte) du cinéaste, Aurore Maistre. Chabrol, l’anticonformiste est un document qui – malgré sa brièveté – donne une idée de la formidable trajectoire de l’auteur de Que la bête meure.

Chabrol avance toujours plus loin dans les replis de la nature humaine

Frappé par le succès dès ses débuts, Chabrol n’avait pas 30 ans qu’il faisait connaissance avec l’échec, lors de la sortie de son troisième long-métrage, A double tour. Cécile Maistre-Chabrol esquisse vigoureusement les figures de cette gymnastique faite d’échecs cinglants et de triomphes qui s’est imposée au cinéaste presque tout au long de sa carrière : le marché lui jouait de sales tours, mais il ne détestait pas s’aventurer dans des entreprises à haut risque. Il a tenté de faire de Roger Hanin un James Bond français dans des films aux titres immortels : Le Tigre aime la chair fraîche, Le Tigre se parfume à la dynamite.

Rapportées à l’essence de l’œu­vre de Claude Chabrol, ces pirouettes ne sont que des anecdotes. Avec, puis sans, le scénariste Paul Gégauff, il avance toujours plus loin dans les replis de la nature humaine. Pour y parvenir, il emprunte des chemins qui lui sont familiers – les travers de la société française des « trente glorieuses ». Il ne faut pourtant pas réduire son art à la chronique : peut-être parce qu’il a étudié et rencontré les maîtres quand il collaborait aux Cahiers du cinéma, plus sûrement parce que le cinéma lui venait naturellement, on trouve toujours – même dans le plus anodin de ses films – des moments d’une grande beauté, d’une grande pureté.

Une équipe d’une grande stabilité

Dans sa course effrénée à travers les ans, le documentaire de Cécile Maistre-Chabrol marque d’ail­leurs une pause pour cerner les grands films des années 1960, Le Boucher, Que la bête meure, avec Jean Yanne, ou La Femme infidèle, avec Michel Bouquet. Les interprètes restent quelques années, l’équipe autour de Claude Chabrol est d’une étonnante stabilité, en partie garantie par les liens de famille. Même si Chabrol, l’anticonformiste passe rapidement sur les deux dernières décennies de la carrière de Claude Chabrol, on entrevoit ce à quoi ressemblaient les tournages, sereins, joyeux, qui relevaient plus du plaisir d’être ensemble que des tourments de la création.

On trouvera dans « Le Boucher » le plan favori de Claude Chabrol, celui d’une goutte de sang qui coule sur la tartine d’un goûter enfantin

Deux des films proposés par Arte, Le Boucher (1970) et La Cérémonie (1995), appartiennent à la catégorie des grandes œuvres saluées par la critique, fêtées par le public à leur sortie. Ce n’est pas une raison pour ne pas les revoir. On trouvera dans Le Boucher le plan favori de Claude Chabrol, celui d’une goutte de sang qui coule sur la tartine d’un goûter enfantin (et aussi la plus belle composition que Jean Yanne ait donnée au cinéma). Quant à La Cérémonie, variation sur le thème des Bonnes, de Jean Genet, c’est, entre autres, un magnifique exemple de la collaboration entre Isabelle Huppert (ici associée à Sandrine Bonnaire) et Chabrol.

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Les programmateurs proposent aussi un film méconnu, Juste avant la nuit, sorti en 1971. On y retrouve le couple de La Femme infidèle (1969), Michel Bouquet et Stéphane Audran. Cette fois, c’est le premier qui a trompé la seconde. Dès la première séquence, l’irréparable est commis, personne n’a de doutes sur l’identité du coupable, ni le spectateur, ni – très vite – les autres personnages. Ce renversement des règles du thriller permet à Chabrol de scruter les plaies de la culpabilité et du remords. Il le fait en utilisant un étonnant ­décor suburbain. Le personnage de publicitaire de Michel Bouquet vit dans une villa moderne, en contrebas de la maison plus classiquement cossue de son meil­leur ami, l’architecte que joue François Périer. Entre cet enfer et ce purgatoire, Chabrol développe des motifs formels qui sont souvent plus discrets chez lui.

Une fois (re)découverte cette rareté, il ne reste plus qu’à se lancer dans l’exploration des recoins de la filmographie de Claude Chabrol, un passe-temps aussi chronophage qu’un abonnement à une plate-forme de streaming, mais plus sûrement gratifiant.

La Cérémonie, dimanche 17 février à 20 h 50 ; Chabrol l’anticonformiste, dimanche 17 février à 22 h 40 ; Le Boucher, lundi 18 février à 20 h 55 ; Juste avant la nuit, lundi 18 février à 22 h 25. www.arte.tv/cycle-chabrol/