En Algérie, la nouvelle vie d’une petite ville grâce au figuier de Barbarie
En Algérie, la nouvelle vie d’une petite ville grâce au figuier de Barbarie
Le Monde.fr avec AFP
A une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, Sidi Fredj a ouvert deux unités de production dédiées aux huiles, vinaigres et jus issus de cette plante.
Récolte dans une plantation de figuiers de Barbarie, dans la région du Caire, en juillet 2010. / Asmaa Waguih / REUTERS
« Mon avenir est ici, rien ne sert d’aller à l’étranger », sourit Fethi Gueldasmi, agriculteur à Sidi Fredj, en Algérie. Le figuier de Barbarie a ranimé cette commune autrefois pauvre où beaucoup rêvaient d’émigration. Originaire du Mexique, le cactus Opuntia ficus-indica s’est répandu sur le pourtour méditerranéen après la découverte des Amériques au XVe siècle. Avec ses grands rameaux aplatis appelés « raquettes », il fait partie du paysage aride des campagnes algériennes, à l’état sauvage ou planté comme haie naturelle.
La cosmétique et de nouveaux débouchés alimentaires ont dopé cette production ces dernières années, alors qu’il était jusque-là cultivé surtout pour son fruit à la chair goûteuse et sucrée – rapportant à peine de quoi vivre, avec des figues vendues 10 dinars pièce (7 centimes d’euro).
L’industrie cosmétique et les magazines de mode européens et américains vantent les propriétés antirides de l’huile de figue de Barbarie, tirée des pépins, et des études scientifiques ont aussi révélé les multiples vertus nutritionnelles et médicinales de cette plante. Les fleurs, riches notamment en vitamine C, calcium et magnésium, se consomment en tisane. Et la pulpe du fruit sert pour des confitures, des jus ou du vinaigre.
Développement d’une filière
A l’exception des épines dont on ne tire rien, la plante peut ainsi être entièrement utilisée et valorisée. Aussi, la chambre d’agriculture de la région de Souk Ahras, où se trouve Sidi Fredj, a-t-elle encouragé depuis 2013 le développement d’une filière algérienne du figuier de Barbarie en attirant des experts du Mexique, pays d’origine et premier producteur mondial de cette plante, à l’honneur sur le drapeau national.
Des experts mexicains aident les agriculteurs algériens à améliorer les rendements en identifiant les « variétés les plus avantageuses » à cultiver sur leurs terres, explique à l’AFP Gabriel Rosenzweig, ambassadeur du Mexique en Algérie. Une première unité de production a ouvert dès 2015 à Sidi Fredj, dédiée aux huiles, vinaigres et jus. Et une nouvelle usine inaugurée en 2018 doit doper la production régionale. Elle était de 1 000 litres en 2018, et l’objectif visé en 2019 est de 7 000 litres.
A la clef, l’une des huiles les plus chères au monde : pas moins d’une tonne de graines est nécessaire pour produire un litre de cet « élixir » qui peut se vendre plus de 2 000 euros le litre en Europe, une fois conditionné en petits flacons. Les producteurs de la région de Sidi Fredj en tirent 500 euros du litre vendu en gros. Certifiée bio par des organismes étrangers – une telle certification n’existe pas en Algérie –, cette huile de figue de Barbarie s’exporte en France, en Allemagne, au Qatar et bientôt aux Etats-Unis, explique à l’AFP un agriculteur, Djamel Chaib.
Dans la région conservatrice de Souk Ahras, la transformation du cactus a fait émerger une économie familiale qui offre aux femmes, souvent employées pour la récolte, une indépendance financière et aux jeunes un espoir d’avenir. La mère de Fethi Gueldasmi cultive sa propre parcelle et peut ainsi économiser pour effectuer un pèlerinage à La Mecque. Grâce au boom du cactus, la famille Gueldasmi affirme avoir décuplé ses revenus. Fini le crédit chez l’épicier, ils agrandissent la maison familiale.
Réservoir naturel d’eau
Ces terres qui « permettaient juste de survivre nous donnent de l’espoir. Pas besoin d’aller ailleurs », se réjouit Fethi, 40 ans, aujourd’hui serein pour son avenir et celui de sa fille de 10 ans dans le village de leurs ancêtres. En Algérie, 30 % des jeunes sont au chômage et beaucoup voient l’émigration comme seule échappatoire. Mais dans la région de Sidi Fredj, « plusieurs centaines de familles » vivent désormais de la culture des figuiers, indique Mohamed Mohamedi, président de la coopérative agricole. Le père de Fethi se réjouit aussi d’avoir pu planter des pistachiers entre les cactus, source de revenus supplémentaires.
Réservoir naturel d’eau, le figuier de Barbarie est « un puits botanique capable de fournir jusqu’à 180 tonnes d’eau par hectare » et ses racines améliorent la fertilité des sols, relève la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Dans les endroits où de l’orge a été plantée entre les rangées de figuiers, les rendements à l’hectare de la céréale ont été multipliés par sept, souligne le professeur Khodir Madani, directeur d’un laboratoire universitaire de recherche. Une opportunité pour l’Algérie, qui est le plus grand pays d’Afrique et dont 80 % du territoire est aride ou semi-aride.
Selon la FAO, comme le cactus est capable de pousser sur des terres pauvres « où aucune autre culture » ne le peut, « cette “humble plante” continue silencieusement mais fermement à gagner une place de premier plan » face au changement climatique et aux risques accrus de sécheresse. La Tunisie et le Maroc ont déjà bien compris l’intérêt du figuier de Barbarie. Appuyés par l’ONU, ils ont développé depuis plusieurs années une filière de transformation de cette plante.