Au Sénégal, Macky Sall a rétréci l’opposition
Au Sénégal, Macky Sall a rétréci l’opposition
Par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
Le président espère une réélection dès le premier tour, après avoir écarté ses principaux opposants.
Le président sortant Macky Sall en campagne, près de Saint-Louis du Sénégal, le 19 février 2019. / SEYLLOU / AFP
Ils se sont assis dans les mêmes salons feutrés, ont peaufiné leurs stratégies dans les mêmes suites ouvrant sur l’océan. Hôtel cinq étoiles de la capitale sénégalaise, le Terrou-Bi s’est imposé comme l’épicentre de la campagne présidentielle. Du président en exercice, Macky Sall, à l’ancien président Abdoulaye Wade, en passant par le challenger antisystème, Ousmane Sonko, les candidats à l’élection présidentielle y ont organisé les conférences de presse comme les rendez-vous discrets. Une partie des résultats du scrutin du 24 février s’est jouée là, dans l’ocre des tentures, le beige de ce luxe reposant.
Pour ce pays de 16 millions d’habitants de l’Afrique de l’Ouest, l’enjeu de ce premier tour de l’élection présidentielle est la réélection – ou non – de Macky Sall, le président en place, candidat à sa succession. Qu’il soit élu dès dimanche serait un plébiscite de son bilan de président bâtisseur, la reconnaissance de son premier mandat, estiment les plus optimistes. Les plus calculateurs, eux, pensent que, sans victoire ce 24 février, la présidence pourrait bien lui échapper. Rien ne garantit en effet que le Terrou-Bi n’a pas aussi été le lieu d’alliances de second tour capables de faire élire un candidat autre que le président sortant, en dépit du fait que ceux qui apparaissaient comme ses opposants les plus sérieux aient été éliminés de la joute électorale.
A 57 ans, Macky Sall vient de battre son propre record, enchaînant les 37 meetings de la campagne où il a encore promis de l’asphalte et du béton, dans la continuité de son Plan Sénégal émergent. Il aimerait terminer dans un second mandat son vaste programme d’infrastructures de développement, qui vise à installer le Sénégal dans les pays émergents en 2035. Pour y arriver, il devra cette fois s’intéresser à une population rurale pauvre que le fossé des inégalités éloigne de plus en plus d’une classe moyenne naissante dans les villes ; et proposer des emplois à une jeunesse en proie à un chômage de masse. Entre 2012 et 2018, il a permis à l’économie sénégalaise de gagner trois points de croissance et de se maintenir ensuite à près de 7 %. Mais cela ne suffit plus.
Si son premier septennat a été celui du renforcement énergétique et des grands travaux, il lui reste à densifier le réseau routier pour désenclaver les régions rurales, à compléter l’accès au réseau électrique, à l’eau potable et à la santé. Passages obligés pour faire du Sénégal un modèle de développement continental et un point d’ancrage de la diplomatie ouest-africaine grâce à des infrastructures de classe internationale.
L’iconoclaste Sonko
Parmi les quatre autres candidats à la présidence, ses véritables opposants sont le duo Ousmane Sonko et Idrissa Seck, qui devancent l’ancien ministre Madické Niang et l’universitaire Issa Sall. Ils visent le second tour. Le premier est un homme de 44 ans au profil de challenger talentueux. Inconnu du grand public il y a encore trois ans, il s’est révélé comme lanceur d’alerte.
En 2016, cet inspecteur des impôts a dénoncé des cas de corruption et de fraude fiscale. La même année, il a publié Pétrole et gaz au Sénégal. Chronique d’une spoliation (Fauves éditions), dans lequel il s’attaque au président et à son frère, Alioune Sall, alors à la tête d’une compagnie pétrolière, les accusant de « corruption », de « viol de la Constitution et du code pétrolier », dénonçant des contrats léonins au profit d’intérêts étrangers. Il est radié la même année par décret présidentiel pour « manquement au devoir de réserve ».
Sa posture iconoclaste en fait le favori d’une jeunesse diplômée qui peine à trouver un emploi sur un marché du travail en souffrance. Il séduit aussi parmi la diaspora et les entrepreneurs déçus par un gouvernement qui offre de nombreux marchés publics aux entreprises étrangères.
Ousmane Sonko l’a compris. S’il est élu, il promet de faire sortir le Sénégal de la zone du franc CFA, lui qui accuse cette devise arrimée à l’euro « d’empêcher le Sénégal d’être compétitif à l’exportation ». Selon lui, « la France met les Etats africains de la zone CFA dans une logique d’infantilisation qui consiste à dire qu’ils ne sont pas compétents pour gérer une monnaie ». En plaçant cette problématique au cœur du débat, Ousmane Sonko a forcé ses rivaux à prendre position. Même Macky Sall, qui s’est toujours accommodé de ce vestige de la colonisation, a dit ne pas être opposé à une sortie du CFA si elle s’accompagnait de la création d’une nouvelle devise régionale dans la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
Avec un profil très différent, Idrissa Seck aussi peut créer la surprise dans sa troisième tentative pour gagner la magistrature suprême. Ce libéral, ancien camarade de Macky Sall, a rallié le soutien d’opposants majeurs au président sortant, tel l’ancien maire socialiste de Dakar, Khalifa Sall.
Plus aucun projet du Parti socialiste
Dès sa prise de pouvoir en 2012, Macky Sall s’est appliqué à morceler son opposition. « Lorsque vous avez une majorité, il faut la consolider en allant chercher dans le camp adverse (…), le réduire à sa plus simple expression », avait-il alors théorisé. Au fil des années, sa force de conviction politique, appuyée parfois par la distribution de prébendes et de postes, lui a permis de gonfler les rangs de sa coalition, Benno Bokk Yakaar (BBY) (« unis par l’espoir » en wolof), au point qu’elle regroupe aujourd’hui plus de 350 personnalités et formations politiques.
Historiquement à gauche depuis l’indépendance de 1960, le Sénégal a glissé vers le libéralisme économique d’Abdoulaye Wade en 2000. Aujourd’hui, le Parti socialiste, fondé par Léopold Sédar Senghor, le « père de la nation », a été englouti par la coalition de Macky Sall. En 2019, c’est même la première fois de son histoire qu’il ne présente pas de candidat à une élection présidentielle.
Décomposée, la gauche sénégalaise ne présente plus aucun projet, et les candidats manquent. Au PS, les dissidents de l’alliance libérale ont été exclus du parti, comme Khalifa Sall. Agrégeant de nombreux soutiens, le maire de Dakar se taillait un costume de premier opposant politique, dangereux pour la présidentielle, mais le 7 mars 2017, il a été arrêté avec cinq collaborateurs pour « escroquerie portant sur les deniers publics ».
Au terme d’un long procès, il a été condamné en cassation, le 3 janvier, à cinq ans de prison et 5 millions de Francs CFA d’amende (7 567 euros). A un mois de la présidentielle, il a donc disparu de l’échiquier. Ce qui ne manque pas d’être lu comme la volonté d’écarter un adversaire dangereux pour la réélection de Macky Sall. L’Union des magistrats sénégalais s’étonne d’une « certaine rapidité dans le traitement de l’affaire », et Amnesty International dénonce « le caractère ciblé des poursuites », accréditant la thèse d’un procès politique.
Karim Wade écarté
Et Khalifa Sall n’est pas le seul opposant politique à faire les frais de la justice. Fils et ministre de l’ancien président, Karim Wade a aussi vu sa candidature à la présidentielle écartée par le Conseil constitutionnel, le 20 janvier. Condamné en 2015 à six ans de prison et à 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite », il a vu son inscription sur les listes électorales rejetée. Ne s’étant pas acquitté de son amende auprès de l’Etat sénégalais, il ne peut rentrer au pays sans risquer la prison. Le Parti démocratique sénégalais, formation d’Abdoulaye Wade, devenu premier parti d’opposition sous Macky Sall, se retrouve donc sans candidat.
En cette veille d’élections, « nous sommes très sereins, car notre discours a été aussi clair que notre bilan, soutient un proche conseiller du président avant d’ajouter, nous avons fait ce qu’il fallait faire pour gagner ». Une confiance qui rappelle celle que Macky Sall exprimait déjà en 2012. Juste après son élection, il était venu se ressourcer dans une suite du Terrou-Bi afin de préparer le discours de son investiture. Cette fois-ci, il sera chez lui, a-t-il promis lors d’une pique : « Le jour du scrutin, après avoir voté, j’irai faire ma sieste jusqu’à 19 heures, puis j’allumerai la télé et la radio pour contempler la défaite de mes adversaires. »