Election sénégalaise : éducation, économie justice… les programmes passés au crible
Election sénégalaise : éducation, économie justice… les programmes passés au crible
Par Salma Niasse Ba (Dakar (correspondance)
Éducation, emploi, l’anglais précoce ou la sortie du franc CFA... Les propositions phares des cinq candidats à la présidentielle du 24 février
Après trois semaines de campagne, la campagne est terminée. Les cinq candidats à l’élection présidentielle sénégalaise qui se déroule ce 24 février, attendent le grand jour. Quelle vision du pays défendent les cinq prétendants à la magistrature suprême ? Que proposent-ils pour les années à venir. A la veille du scrutin, Le Monde Afrique analyse les propositions de chacun d’entre eux.
Madické Niang : La paix comme préalable
« Paix et prospérité » (jamm ak kheweul, en wolof) sont les maîtres mots du programme de cet ancien avocat qui a gagné la sympathie des Sénégalais, au fil de sa campagne, grâce à son humour et parce qu’il est perçu comme un homme de paix. Sa vision pour le Sénégal, il l’a formulée en trois pages divisées en vingt-huit points et résumées en dix-neuf mesures d’urgence.
Le candidat à la présidentielle Madicke Niang salue ses partisans lors d’un rassemblement de campagne en vue de l’élection présidentielle du pays à Joal-Fadiouth, au Sénégal, le 17 février 2019. Photo prise le 17 février 2019. REUTERS/Sylvain Cherkaoui / SYLVAIN CHERKAOUI / REUTERS
1 - Justice indépendante. Élu, le candidat de la coalition Madické 2 019, réformera la justice en éliminant le chef de l’Etat de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature. Pour une bonne gouvernance, fini le cumul entre les fonctions de président et de chef de parti. Les corps de lutte contre la corruption rendront compte au pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. La cour des comptes aussi se verra renforcée dans son indépendance.
2 - Place aux sciences à l’école. « L’enseignement des sciences, technologies, de l’ingénierie, des mathématiques et des langues nationales sera proposé le plus tôt possible », lit-on dans le programme de celui qui veut aussi entamer des négociations avec la France, pour réduire les droits d’inscription des étudiants sénégalais. Pour l’emploi, le candidat prévoit d’investir une partie des ressources générées par le pétrole pour aider à l’entrepreneuriat des jeunes et doter d’un budget exceptionnel la formation professionnelle pour les jeunes diplômés et ceux qui sortent tôt du système scolaire. Dans le secteur de la santé, il imagine l’organisation d’états généraux et un état des lieux de la couverture maladie universelle.
3 - Ministère du culte. Proche des foyers religieux enfin, Madické Niang propose un ministère de souveraineté chargé des affaires religieuses. D’autre part, pour ce natif de la ville de Saint-Louis, aujourd’hui menacée par l’avancée de la mer, des infrastructures pour lutter contre l’érosion côtière seront installées.
Issa Sall : l’éducation d’abord
« Nous avons apporté cent réponses aux cent questions que tous les Sénégalais se sont posées ». Voilà comment le candidat du parti pour l’unité et le rassemblement (PUR) définit son projet de société, le PUR 100. Avec pour épicentre « l’Homme, d’abord comme ressources à rendre capable à travers l’éducation et la formation, ensuite comme acteur pour impulser le développement et enfin comme bénéficiaire de ce développement ».
Candidat à l’élection présidentielle sénégalaise, El-Hadj Issa Sall quitte sa voiture lors d’un rassemblement politique du haut d’un bus à Thiès le 20 février 2019. Sonko se présentera aux élections présidentielles prévues pour le 24 février 2019/ AFP / MICHELE CATTANI / MICHELE CATTANI / AFP
1 - L’éducation d’abord. Ce président d’une université privée à Dakar place l’école au cœur de son programme l’éducation. Instaurer un système d’alternance entre l’école et l’entreprise, mieux aider les enseignants, créer des universités de proximité pour chaque département, supprimer les différentes séries du baccalauréat… Pas moins de dix mesures sont consacrées à ce secteur. S’il est élu, Issa Sall instaurera l’apprentissage des langues nationales, du numérique et de l’anglais. Sans oublier le développement d’incubateurs de start- up, la promotion du patrimoine national mais aussi de la citoyenneté avec au centre, la famille et les valeurs culturelles sénégalaises.
2 - Une économie plus formelle. Cette revalorisation du Sénégal passe aussi par l’économie, encore en grande partie informelle. Le candidat promet la renégociation des accords de pêche, le développement du secteur privé national. Avec comme slogan, « consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons », il veut redynamiser le commerce intérieur, encourager la création d’entreprises vertes et le commerce équitable.
S’agissant des institutions républicaines, le candidat aux couleurs verte et blanche, prône un régime moins présidentiel et un respect de la séparation pouvoirs, avec une réduction du nombre de ministères une déclaration de patrimoine pour tout gestionnaire public, avant et au sortir de son mandat.
3 - Accès à la santé sur tout le territoire. Enfin, pour la santé, des infrastructures prévues dans toutes les localités, des primes pour les professionnels en zone éloignée, une mutualisation sanitaire pour tous et une prise en compte des handicapés dans les politiques publiques.
Le tout dans un Sénégal qui marcherait au pas avec « un service civique ou militaire obligatoire pour tous les jeunes à partir 18 ans ».
Macky Sall : Phase 2 du rendez-vous avec l’avenir
Candidat à sa propre succession, le chef de L’Etat compte poursuivre sur sa lancée, avec la deuxième phase du plan Sénégal émergent (PSE) entamé en 2012. Cette fois il mettra le cap sur la jeunesse, l’industrialisation, l’économie sociale et solidaire, le numérique et enfin une première, l’écologie.
Le président sénégalais et candidat aux prochaines élections présidentielles, Macky Sall, salue ses partisans alors qu’il arrive à sa dernière manifestation à Dakar, au Sénégal, le 22 février 2019.REUTERS/ Zohra Bensemra TPX IMAGES OF THE DAY / ZOHRA BENSEMRA / REUTERS
1 - L’école d’abord. Comme Madické Niang et Issa Sall, le candidat de la coalition au pouvoir, Benno bokk yaakaar (BBY) introduira l’apprentissage de l’anglais et de l’informatique dès le primaire pour promouvoir une inclusion numérique précoce. Concernant l’enseignement Supérieur, il propose la création de cent nouveaux postes d’enseignants d’ici 2 024 et l’augmentation de la capacité d’accueil des campus.
2 - L’entreprenariat valorisé. En matière économique, l’entrepreneuriat est mis à l’honneur dans son programme, avec une maison dédiée dans chaque département. Un guichet spécifique sera ouvert pour les jeunes et des financements solidaires, fonds de soutien au numérique valorisés. Concernant l’industrialisation, les agro-industries seront promues et le tissu industriel des régions intérieures densifié.
En économie toujours, mais verte cette fois-ci, la fiscalité des entreprises de recyclages de déchets plastiques allégée, le nouveau code forestier appliqué et la reforestation bénéficiera de cinquante milliards de francs CFA.
3 - Un programme de logements neufs. En parallèle au PSE II, trois nouveaux programmes apparaissent. Zéro bidonville, d’abord avec cent mille logements sociaux pour toute ville de plus de dix mille habitants ; à dix millions de francs CFA l’unité et subventionné de moitié.
Le projet zéro déchet, ensuite. Macky Sall, s’engage à une gestion alternative des ordures, au recyclage des composants et à une journée mensuelle dédiée à la propreté des villes. Il a aussi proposé un programme qui pourrait plaire aux nombreux artistes qui ont rallié le président candidat durant sa campagne : celui des villes créatives qui consacreraient tous les mois une « journée rue ouverte » pour la promotion culturelle.
4 - La santé un peu oubliée… Une demie phrase seulement sur ce sujet dans le document de cinquante-pages. M. Sall propose de « développer un programme national de réduction des inégalités d’accès à la santé et au sport en milieu scolaire d’un budget de 5 milliards FCFA par an à partir de 2020 ».
Ousmane Sonko : Transparence et petite révolution
Le candidat résidentiel Ousmane Sonko prononce un discours lors d’un rassemblement de campagne à Pikine, dans la banlieue de Dakar, au Sénégal, le 21 février 2019. REUTERS/ Zohra Bensemra / ZOHRA BENSEMRA / REUTERS
Pour le plus jeune des candidats, âgé de 44 ans, « il est temps » (jotna, en wolof) de révolutionner le système. Et son programme, qui prône une vision nouvelle, va dans ce sens. Cet inspecteur des impôts, syndicaliste et qui a été radié en 2016, pour manquement au devoir de réserve - en dénonçant certains abus - prône avant tout la bonne gouvernance et la transparence.
1 - Bouger les institutions. Élu, Ousmane Sonko promet de rendre responsable et révocable le président de la République, obligé désormais de rendre des comptes. En cas de manquement, son projet de société prévoit une procédure de destitution pour faute grave et le droit des parlementaires de déclencher une mise en accusation. L’assemblée nationale serait renforcée pour lutter contre le régime présidentiel, notamment avec un des postes de vice-président attribué à l’opposition. Toujours dans ses promesses électorales, les fonds dits « politiques » seraient remplacés par des fonds spéciaux, votés par l’assemblée et uniquement pour des opérations sensibles. Enfin, il aimerait la création d’une haute autorité de la démocratie, avec une autonomie financière et qui contrôlerait le financement des partis ou encore l’organisation d’élections.
2 - Une justice transparente. L’équilibre des pouvoirs s’appliquerait aussi à la justice. Le candidat propose la sortie du chef de L’Etat du conseil de la magistrature suprême (CSM), l’indépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la justice. En matière de transparence, les corps de contrôle pourraient directement saisir le procureur, voire le juge.
Concernant l’économie, le candidat de Pastef promeut un secteur privé sénégalais fort, avec notamment la création de champions nationaux pour le pétrole et le gaz mais aussi les industries. Pour les PME et PMI, le candidat préconise de militer pour une réorientation des politiques de financement des banques commerciales, ainsi que la création de maison d’entreprise dans chaque région.
3 - Une économie très nationale. La « production par et pour nous-mêmes » se trouve au cœur de son programme, avec comme point d’appui l’agriculture locale qui bénéficierait d’incitations fiscales de la création de grandes fermes d’élevage. Pour les ressources en gaz et pétrole récemment découvertes, il propose une renégociation des contrats signés et un consensus national pour l’exploitation.
4 - Indépendance vis-à-vis de la France. Son projet de société, nationaliste, passe par une union douanière pour un marché commun africain. En effet, Ousmane Sonko prône pour une coopération régionale accrue (marché unique, cour africaine de justice, plan ferroviaire Dakar-Bamako, etc) et une plus grande indépendance vis-à-vis de la France. La présence des bases militaires étrangères serait renégociées et Paris prié de se retirer de l’administration de la BCEAO dans un premier temps afin qu’il n’ait plus de dépôt de réserves au trésor français. A défaut, le candidat menace de « sortir du système monétaire appauvrissant », créer une monnaie nationale et militer pour une alternative africaine.
Idrissa Seck : Le Sénégal d’abord
Idrissa Seck, candidat à la présidence de la coalition « Idy 2019 », salue ses partisans lors de son dernier rassemblement à Dakar, au Sénégal, le 22 février 2019. / SYLVAIN CHERKAOUI / REUTERS
A 59 ans, l’ancien maire de Thiès brigue la magistrature suprême pour la troisième fois. Avec un programme de cent quarante-sept pages qui abordent toutes les thématiques, le candidat de la coalition Idy 2 019, propose une vision axée sur la bonne gouvernance, la transparence, l’indépendance de la justice et une économie tournée vers le Sénégal.
1 - Indépendance de la justice. Idrissa Seck, propose de remplacer le Conseil constitutionnel par une Cour. Et pour le CSM, sa position est quasi-identique à celle des autres candidats si ce n’est qu’il conserve le ministre de la justice au sein de l’institution. Le candidat imagine un gouvernement resserré avec vingt-cinq ministères au maximum, avec une enquête de moralité sur chacun des ministres. Le cumul entre les postes de président de la république et celui de chef de parti sera banni et le président sera responsable et révocable. L’assemblée nationale, elle, sera réduite à cent cinquante députés (contre cent soixante-cinq aujourd’hui) et exercera un pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Enfin, une déclaration de patrimoine sera obligatoire à la prise de fonctions comme à la sortie.
2 - Justice fiscale. Parmi les différentes mesures proposées, une meilleure justice fiscale, la promotion de la finance islamique et celle du secteur privé national sont en bonne place. L’agriculture, l’élevage avec le développement des produits du terroir passeront par l’installation de grandes fermes et la promotion de la pêche sont placés au cœur du programme économique. La préférence nationale est aussi mise en avant dans le secteur de la grande distribution où désormais une autorisation préalable sera exigée pour les grandes entreprises étrangères.
Enfin, pour une sortie du franc CFA, l’ancien patron de Thiès juge la monnaie inadéquate sur le long terme, mais ne recommande pas une « sortie unilatérale du Sénégal ». En effet, s’il est élu ce 24 février, Idrissa Seck propose une « accélération du processus de création de la monnaie commune ».