Arte, samedi 23 février à 20 h 50, docu-fiction

Depuis le succès de l’Ecole des annales, l’histoire événementielle a cédé la priorité à un regard qui privilégie, sur les batailles et les fastes princiers, l’étude économique et sociale, puis celle des mentalités et des sensibilités. Croisant ces héritages, la série – qu’inaugurent samedi le parcours d’un jeune perruquier parisien aux premières heures du règne de Louis XVI, puis celui d’une sage-femme de Cologne, au cœur de la guerre de Trente Ans – parvient à captiver par la rigueur de son information scientifique et l’astuce d’un scénario qui, sur une journée, livre les clés d’une société travaillée par le poids des traditions et la modernité du moment.

Si la vie d’Anna Stein manque de basculer ce 26 mai 1629, du marché où elle enseigne les vertus des plantes à une apprentie, à la maison bourgeoise où elle accouche une servante abusée par son maître, jusqu’à la prison où la dénonciation d’une consœur convaincue de sorcellerie la conduit à subir la torture, l’évocation permet de saisir la variété de ses compétences – ondoyer les nouveau-nés ou établir l’état-civil – comme de mesurer le poids de la mendicité dans la ville, la vulnérabilité à la délation. Si, pour Anna, l’issue de cette journée particulière est heureuse, sans doute est-ce le privilège d’un scénario de fiction, le tiers des verdicts de mort entre 1627 et 1630 concernant ces « ventrières » aussi indispensables que suspectes en un temps où les malheurs et les préjugés réclament des boucs émissaires.

Léonard, lui aussi, aura sa « folle journée », pour reprendre la formule dont Beaumarchais résumera « Le Mariage de Figaro »

Léonard, lui aussi, aura sa « folle journée », pour reprendre la formule dont Beaumarchais résumera Le Mariage de Figaro. Pour l’heure, en 1775, l’homme de lettres propose un Barbier de Séville qui pourrait séduire notre perruquier par son audace et sa liberté d’invention. Ce 15 avril, le jeune artisan, qui rêve de renoncer à la science de ses aïeux, façonnant des perruques moins prisées depuis que le cheveu naturel gagne tant chez les esprits libres qu’à la cour, pour créer des coiffures où l’imagination le dispute à la prouesse technique, va connaître un vertige émotif saisissant.

De l’arbitraire qui conduit son père en prison pour une boutade malheureuse au miracle de la commande d’une duchesse qui va imposer sa signature d’artisan créateur, Léonard va voir son avenir se jouer quand, d’une réputation compromise par la bourde paternelle, il accède à une notoriété soudaine qui fera sa fortune.

Espionnite aiguë

Mais au fil de l’évocation, on apprend en circulant à sa suite dans Paris à mesurer son manque d’hygiène, les lacunes de sa voirie, la fragilité d’un habitat miné par l’exploitation de son sous-sol. Comme on y mesure les injustices sociales et ce climat d’espionnite aiguë qui prétend limiter les risques d’émeutes, même si les pénuries alimentaires agitent les esprits plus que les rapports de classes. Dans les pas de Léonard, on accède à Versailles et à ses rituels hiérarchisés et, comme on a vu la spécificité de son art, on participe à son triomphe inespéré quand sa cliente subjugue par sa coiffure.

Ces fictions intégrant quelques commentaires de spécialistes comme des réflexions sur l’archive, on se surprend à être indifférent à ce que les personnages soient fictifs, puisque la leçon est exemplaire.

Un jour à Paris en 1775 et Un jour à Cologne en 1629, de Sigrun Laste (All., 2018, 2 × 52 min). Disponible également sur arte.tv.