Des agents de la commission électorale nigériane décomptent les votes à Kaduna, le 24 février 2019. / CRISTINA ALDEHUELA / AFP

Le comptage des voix entre les deux favoris de la présidentielle au Nigeria, le chef de l’Etat sortant, Muhammadu Buhari, et l’opposant Atiku Abubakar, se poursuivait, dimanche 24 février, sans qu’aucun résultat officiel ne soit annoncé, même si les deux camps se proclamaient déjà vainqueurs d’un scrutin généralement calme mais désorganisé.

Les données recueillies dans les 120 000 bureaux de vote des 36 Etats devaient être centralisées à partir de 18 heures dimanche près d’Abuja, la capitale, où le président de la Commission électorale (INEC), Mahmood Yakubu, devrait annoncer des résultats définitifs dans les jours qui viennent. Il a rappelé que « seule l’INEC pouvait publier des chiffres, avancer les résultats et proclamer un vainqueur », tandis que les deux principaux partis multipliaient déjà des annonces provocatrices.

« Bonjour chers Nigérians et merci encore d’avoir voté pour le président Buhari » samedi, a écrit sur Twitter son conseiller en communication, Bashir Ahmad, du Congrès des progressistes (APC). « Les résultats arrivent un à un et ils sont époustouflants. Le président a remporté la majorité et #BuhariIsWinning ! [Buhari est en train de gagner]. »

De son côté, le Parti populaire démocratique (PDP) a demandé « à la Commission électorale indépendante d’annoncer les résultats tels qu’ils ont été livrés par les bureaux de vote et de déclarer le candidat du peuple, Atiku Abubakar, vainqueur de l’élection présidentielle ». « Notre position est basée sur des résultats clairs et vérifiables », a assuré son équipe.

Pour être élu dès le premier tour, le vainqueur doit obtenir, outre la majorité des suffrages exprimés, au moins 25 % des voix dans les deux tiers des 36 Etats, auxquels s’ajoute le territoire de la capitale, Abuja. Sinon, un second tour doit avoir lieu dans une semaine.

Plus de 200 morts depuis octobre

Outre leur président, les Nigérians étaient appelés à désigner 360 députés et 109 sénateurs. Le président de l’INEC a félicité les électeurs, qui ont fait preuve « d’une résilience extraordinaire et d’une confiance dans le processus démocratique ». Il a déploré toutefois de nombreux incidents sécuritaires, dont la mort d’un agent, tué par balles, et l’enlèvement de plusieurs autres (libérés quelques heures plus tard) dans l’Etat de Rivers (sud-est).

C’est dans cet Etat qu’a été recensé le plus grand nombre de personnes tuées dans des violences électorales. Le groupe de la société civile Situation Room a recensé seize morts samedi soir, mais aucun chiffre n’a été annoncé officiellement. Entre octobre et le jour du scrutin, les violences électorales avaient déjà fait 233 morts, selon le cabinet de surveillance SBM Intelligence.

Bien que les opérations n’aient pu se dérouler dans 8 500 bureaux de vote, l’INEC s’est déclarée « généralement satisfaite », samedi, du déroulement du scrutin dans ce pays de 190 millions d’habitants aux infrastructures défaillantes et à la corruption généralisée. Mais ce sentiment n’était pas partagé par les observateurs de la société civile, qui se sont dits « déçus » des manquements logistiques.

Retards d’ouvertures des bureaux de votes, problèmes avec les lecteurs de cartes électroniques, achats de voix, bureaux de vote saccagés ou brûlés… « Les informations qui nous sont parvenues des quatre coins du pays indiquent un nombre inquiétant de problèmes qui méritent l’attention de l’INEC », note Situation Room. Le président de l’INEC a reconnu dimanche des « problèmes » et s’est engagé à « faire le point une fois que les élections seront finies pour améliorer le processus électoral ».

De son côté, Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement (CDD), juge que ces élections « n’ont pas rempli les conditions nécessaires d’un vote libre, crédible et transparent ».

Redynamiser une économie en berne

L’INEC avait décidé d’un report d’une semaine des opérations électorales, initialement prévues le 16 février, pour des raisons logistiques. Ce report a marqué un tournant clair dans la campagne, les deux camps s’accusant mutuellement d’avoir « saboté » le vote à des fins électorales et d’avoir organisé des fraudes.

En 2015, le président sortant Goodluck Jonathan avait accepté sa défaite aussitôt les résultats officiels proclamés par la Commission, laissant place pour la première fois au candidat de l’opposition, Muhammadu Buhari, élu sur la promesse de lutter contre la corruption et Boko Haram.

Le vainqueur de ce nouveau scrutin aura la lourde tâche de redynamiser une économie en berne et de sécuriser de nombreuses régions du pays, en proie aux groupes armés ou gangs criminels, notamment dans le nord-est ravagé depuis dix ans par les opérations du groupe islamiste Boko Haram.