Maurice Kamto, chef du parti d’opposition le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), est accueilli lors de son arrivée sur scène à Yaoundé, le 30 septembre 2018, pour prendre la parole lors d’un rassemblement de campagne pour l’élection présidentielle. / MARCO LONGARI / AFP

Tribune. Le 28 janvier, deux jours après la « marche blanche » organisée pour contester pacifiquement le résultat officiel de l’élection présidentielle au Cameroun, le professeur Maurice Kamto est interpellé à Douala avec plusieurs dizaines de personnes. Il est par la suite transféré à Yaoundé et placé par un préfet en « garde à vue administrative », au sein du Groupement spécial d’opérations (GSO), un service dépendant de la délégation générale à la sûreté nationale spécifiquement chargé des opérations contre les commandos, groupes terroristes ou autres bandes organisées de malfaiteurs. Détenu pendant quinze jours au secret, dans des conditions humanitaires exécrables et dégradantes, Maurice Kamto est finalement présenté le 12 février, avec 160 autres personnes, au tribunal militaire de Yaoundé.

Le colonel magistrat de cette juridiction d’exception rend de multiples ordonnances d’emprisonnement, sous des chefs d’inculpation tels que ceux d’« insurrection, hostilités contre la patrie, rébellion, dégradation de biens publics ou classés, outrage au président de la République, réunion et manifestation, attroupement, caractère politique, destruction et complicité des mêmes faits ». Dans les localités où des marches ont pu se déployer, des vidéos témoignent des brutalités auxquelles les forces de l’ordre se sont livrées pour les empêcher, alors même qu’elles se sont déroulées de manière strictement pacifique.

Un juriste de droit international reconnu

De même, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti politique dont Maurice Kamto a été le fondateur et candidat à l’élection présidentielle, a nié toute responsabilité dans le saccage de certains services diplomatiques du Cameroun à l’étranger, qu’il a condamné sans ambiguïté. Comme nombre de ses partisans, Maurice Kamto n’est pourtant pas épargné par le juge militaire qui l’a placé en détention provisoire « pour une durée initiale de six mois », soit jusqu’au 11 août. Maurice Kamto est actuellement incarcéré à la prison centrale de Kondengui, connue pour les conditions de détention effroyables qui y règnent.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Nous reviennent en mémoire des images précises, fortes, celles de moments où le Cameroun manifestait, devant la communauté internationale tout entière, son estime envers l’homme que le pouvoir retient aujourd’hui dans ses geôles. Le 10 octobre 2002, devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye par exemple, lorsque Maurice Kamto assista à la lecture de l’arrêt favorable au Cameroun, qu’il avait brillamment représenté dans le litige frontalier l’opposant au Nigeria.

Agrégé des facultés de droit, doyen de la faculté de droit de Yaoundé, ancien membre et président de la commission du droit international des Nations unies, Maurice Kamto était l’avocat naturel de son pays. Membre de l’Institut de droit international et du curatorium de l’Académie de droit international, il était déjà – et demeure – un juriste de droit international reconnu et particulièrement estimé par ses pairs. C’est sans doute la raison pour laquelle le Cameroun avait décidé, en 2001, de présenter sa candidature à la commission du droit international des Nations Unies, où il fut élu par l’Assemblée générale à trois reprises et, quelques années plus tard, de défendre officiellement sa candidature à l’élection comme juge à la CIJ.

Respecté à l’étranger

Ces soutiens mérités témoignaient de l’estime des autorités camerounaises pour l’un des ressortissants les plus éminents de leur pays et les plus respectés à l’étranger. Pendant sept années, Maurice Kamto aura d’ailleurs assuré les fonctions de ministre délégué à la justice au sein même du gouvernement nommé par Paul Biya.

La démission de Maurice Kamto de ses fonctions gouvernementales en 2011, suivie de la création du MRC en 2012, offre peut-être un début d’explication au traitement dont il est aujourd’hui victime. Plus sûrement encore le fait que Maurice Kamto ait revendiqué la victoire au lendemain de l’élection présidentielle d’octobre 2018, avant d’être brièvement assigné à résidence le jour de l’investiture de Paul Biya pour un septième mandat, ont certainement contribué à sceller le destin qui est actuellement le sien et, avec lui, celui de ses soutiens.

Nous n’avons pas de prise sur ces événements et n’entendons aucunement nous ingérer dans la vie politique camerounaise. C’est au peuple camerounais, et à lui seul, qu’il appartient, conformément aux valeurs universelles de la démocratie et de l’Etat de droit, de décider librement de ses institutions politiques. Le 27 septembre 2018, le ministre des affaires étrangères du Cameroun affirmait, à la tribune de l’ONU, que « la consolidation de la culture démocratique au Cameroun est un processus inéluctable ».

Aucun effet tangible

Nous voulons le croire. Mais ce processus ne saurait aboutir sans le respect des principes fondamentaux par lesquels le Cameroun est lié. Il s’est souverainement engagé à respecter des instruments internationaux aussi emblématiques que le pacte des Nations unies pour les droits civils et politiques, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples ou encore la convention de New York contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Que disent ces textes ? Que nul ne peut être inquiété pour ses opinions, que tout citoyen a le droit de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques et honnêtes, que la dignité humaine doit en toutes circonstances être préservée, que nul ne peut être soumis à des traitements contraires à celle-ci, que nul ne peut faire l’objet d’une mesure d’arrestation ou de détention arbitraire, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, qu’elle a droit à la liberté d’opinion, d’expression et de réunion pacifique…

Jusqu’à présent, l’expression publique des préoccupations de la communauté internationale, et notamment celle du secrétaire général des Nations unies qui fut le premier à s’alarmer, n’a eu aucun effet tangible. L’Union européenne, quant à elle, ne semble pas avoir pris la mesure de la situation.

Former le vœu que la raison l’emporte

Pourtant, par son acte fondateur, le traité d’Union européenne, l’Europe, dont les parlementaires se présenteront au suffrage des citoyens dans quelques mois, a solennellement formulé les valeurs fondamentales qu’elle entend faire valoir sur la scène internationale. Elle l’a fait jusqu’à présent au Cameroun à coup de soutiens financiers massifs : pas moins de 80 millions d’euros consacrés à l’amélioration de la gouvernance, au meilleur respect des droits de l’homme et des standards de la justice, dans le cadre du 11e Fonds européen de développement valant pour la période 2014-2020. Elle ne peut pas ne pas prendre acte que les promesses du Cameroun sont en passe d’être trahies, et doit geler tous ses programmes de soutien tant qu’elle n’aura pas reçu l’assurance que les droits fondamentaux de Maurice Kamto et de ses partisans sont dûment respectés.

Dire ceci, ce n’est en aucun cas vouloir intervenir dans les affaires intérieures du Cameroun. Au regard des circonstances présentes, c’est simplement exprimer, comme l’a fait notamment le secrétaire général des Nations unies, notre préoccupation à propos de l’arrestation de Maurice Kamto et de ses soutiens, du traitement qu’ils subissent et appeler le Cameroun au respect des obligations fondamentales qu’il a librement souscrites au bénéfice de son peuple et aux yeux des 171 autres Etats parties au pacte des Nations unies, des 164 autres Etats parties à la convention de New York et des 52 autres Etats du continent parties à la charte africaine. C’est uniquement former le vœu que la raison l’emporte. Non pas la raison d’Etat. Mais celle du droit, de la justice et de la dignité, pour Maurice Kamto et ses soutiens comme pour tous les Camerounais.

Les personnes dont les noms suivent ont signé cette tribune à titre personnel : Geneviève Bastid-Burdeau, professeure émérite, université Paris I (Panthéon Sorbonne) ; Laurence Boisson de Chazournes, professeure, faculté de droit de l’université de Genève ; Enrique Candioti, ancien ambassadeur d’Argentine ; Sarah Cleveland, Louis Henkin Professor of Human and Constitutional Rights, Columbia University Law School ; Luigi Condorelli, professeur émérite, faculté de droit de l’université de Genève ; Olivier Corten, professeur, université libre de Bruxelles ; Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme ; Jean-Pierre Cot, ancien ministre français de la coopération ; Yves Daudet, président du curatorium de l’académie de droit international de La Haye ; Eric Diamantis, avocat, Clyde & Co ; John Dugard, professeur émérite, universités de Leiden et de Witwatersrand ; Mathias Forteau, professeur de droit international, université Paris Nanterre ; Dame Rosalyn Higgins, Queen’s Counsel ; Luis M. Hinojosa-Martínez, professeur de droit international et européen, université de Grenade ; Catherine Kessedjian, présidente de la branche française de l’Association de droit international (ILA) ; Pierre Klein, professeur, université libre de Bruxelles ; Marcelo Kohen, secrétaire général de l’Institut de droit international ; Franck Latty, secrétaire général de la branche française de l’Association de droit international (ILA) ; Philippe Leboulanger, avocat, Leboulanger et Associés ; Ahmed Mahiou, membre de l’Institut de droit international ; Don MacRae, professeur émérite, faculté de droit, université d’Ottawa ; Sean Murphy, professeur, Georgetown Washington University ; Alain Pellet, président de la Société française pour le droit international ; Michel Prieur, professeur émérite, université de Limoges ; Jean Salmon, professeur émérite, université libre de Bruxelles ; Philippe Sands, professeur, University College de Londres ; William Schabas, professeur à la Middlesex University de Londres ; Jean-Marc Thouvenin, professeur, université Paris Nanterre ; Christian Tomuschat, professeur émérite, université Humboldt de Berlin ; Sébastien Touzé, professeur, université Paris II (Panthéon Assas) ; Peter D. Trooboff, membre du curatorium de l’académie de droit international de La Haye (1991-2019) ; Eduardo Valencia-Ospina, président de la Commission du droit international des Nations unies.