L’architecte, urbaniste, designer et théoricien Arata Isozaki a obtenu, à 87 ans, le Pritzker Prize 2019, a annoncé, mardi 5 mars depuis Chicago, la fondation Hyatt qui a créé en 1979 cette distinction devenue l’équivalent d’un « Nobel de l’architecture ».

Après Kenzo Tange (1987), Fumihiko Maki (1993), Tadao Ando (1995), Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (2010), Toyo Ito (2013) et Shigeru Ban (2014), le Japon est honoré pour la septième fois, ce qui en fait la nation la plus primée derrière les Etats-Unis qui compte huit lauréats.

Le jury que préside le juge Stephen Breyer, membre de la Cour suprême des Etats-Unis, a souligné sa « connaissance approfondie de l’histoire et de la théorie architecturale tout en étant proche des avant-gardes ainsi que la souplesse de son esprit ». Tout au long d’une carrière de plus de six décennies et d’une centaine de bâtiments, Arata Isozaki a défié les catégorisations stylistiques renouvelant sans cesse ses propositions constructives. Fidèle à l’usage de formes géométriques simples, il excelle dans l’art des jeux d’ombre et de lumière.

Arata Isozaki, architecte : « Ma première expérience en architecture a été le vide d’architecture »

Arata Isozaki est né le 23 juillet 1931 à Oita, une ville du sud du Japon sur l’île subtropicale de Kyushu. Très tôt, sa vie est marquée par les dévastations de la seconde guerre mondiale. « Quand j’ai eu l’âge de commencer à comprendre le monde, ma ville natale a été incendiée, tout n’était que ruine, et il n’y avait aucune architecture, pas de bâtiments ni même de ville, explique-t-il. Ma première expérience en architecture a été le vide d’architecture. J’ai commencé à réfléchir à la manière dont les gens pourraient reconstruire leurs maisons et leurs villes. »

Arata Isozaki est diplômé du département d’architecture de la faculté d’ingénierie de l’université de Tokyo en 1954, et commence sa carrière par un apprentissage sous la direction de Kenzo Tange, figure majeure qui aura une importance considérable dans sa formation. En 1963, au lendemain de l’occupation du pays par les forces américaines, il fonde l’agence Arata Isozaki & Associates. Disposant désormais de sa souveraineté, le Japon cherche à se reconstruire dans un contexte marqué par les dégâts de la guerre et par une incertitude politique, économique et culturelle.

« Le changement est devenu constant »

« Afin de trouver le moyen le plus approprié de résoudre ces problèmes, je ne pouvais pas m’attarder à un seul style, précise l’architecte. Pour moi, le changement est devenu constant. Paradoxalement, c’est devenu mon propre style. » Isozaki veut, de ses propres yeux, voir le monde qu’il parcourt une dizaine de fois avant l’âge de 30 ans. « Je voulais ressentir la vie des gens en différents lieux, dit-il. A l’intérieur du Japon, mais aussi dans le monde islamique, dans des villages de haute montagne en Chine, de l’Asie du Sud-Est et des grandes villes des Etats-Unis. Toutes les occasions étaient bonnes et, à travers cela, je n’avais qu’une seule question : Qu’est-ce que l’architecture ?. »

Marqué à ses débuts par une influence clairement brutaliste (centre médical de Oita en 1960), accordant au tout béton le dernier mot, ses constructions revendiquent dans le même temps un voisinage avec le courant métaboliste alors en vogue : en 1962, il imagine City in the Air (« Une ville en l’air ») un plan futuriste pour le quartier de Shinjuku à Tokyo. Plus tard, il assume l’influence de la « sécession viennoise » du début du XXe siècle, sans parler du postmodernisme qui constelle ses choix architecturaux par quelques clins d’œil à l’histoire, notamment les imposants bossages de Claude-Nicolas Ledoux qu’il restitue in extenso dans le bâtiment du centre de Tsukuba en 1983.

« Citoyenneté mondiale »

Conformément à sa résolution d’avant 30 ans, sa connaissance du monde fait de lui l’un des premiers architectes japonais à construire en dehors de son pays à une époque où l’Occident exerçait une forte influence sur l’Orient. « Son architecture, marquée de manière singulière par sa citoyenneté mondiale, est véritablement internationale, souligne le président de la fondation Hyatt, Tom Pritzker, donnant un éclairage sur les choix ayant motivé le jury. Dans un monde globalisé, l’architecture a besoin de cette manière de communiquer. »

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Si Arata Isozaki a bâti au Japon, en Chine ou au Qatar, il n’a jamais rien réalisé en France. Ailleurs en Europe, il est, en revanche, l’auteur de nombreux projets : siège de Daimler Benz à Berlin en 1998 en Allemagne ; complexe pour les JO de Barcelone en 1990, Domus, le Musée de l’homme de La Corogne en 1995 et des tours d’habitation à Bilbao en 2005 en Espagne ; tour Allianz à Milan en 2014, Palais des sports olympique de Turin en 2006, ainsi que des projets en cours à Bologne et à Maranello en Italie où il possède des bureaux. Aux Etats-Unis, il est l’auteur de deux œuvres notables : le Musée d’art contemporain de Los Angeles réalisé en 1986 et surtout, en 1991, le très singulier siège administratif du Walt Disney World Resort, en Floride. Si le premier relève de l’exercice de style sur le thème de la voûte, que l’architecte nommait « la rhétorique du cylindre », le second révèle un usage ludique et bigarré des formes dans un esprit postmoderne.

Arata Isozaki est récipiendaire de nombreuses distinctions : prix annuel de l’Institut d’architecture du Japon pour la préfecture de Ita (1967) ainsi que pour la bibliothèque et le Musée d’art moderne de Gunma (1975) ; officier de l’Ordre des arts et des lettres en France (1997) ; Médaille d’or RIBA pour l’architecture au Royaume-Uni (1986) ; Lion d’or à la Biennale d’architecture de Venise, en tant que commissaire du pavillon japonais (1996) ; Grand Croix de l’ordre du mérite civil en Espagne (1997) ; Ordre du mérite de la République italienne (2007) et Prix d’excellence Lorenzo il Magnifico à la Biennale de Florence (2017). Arata Isozaki a été membre du premier jury du Pritzker Prize en 1979 puis pendant cinq années supplémentaires. La cérémonie pour la remise de son prix aura lieu au château de Versailles au mois de mai.