« Bêtes blondes » : deux hommes et l’art de perdre la tête
« Bêtes blondes » : deux hommes et l’art de perdre la tête
Par Clarisse Fabre
Le premier long-métrage de Maxime Matray et Alexia Walther renouvelle le genre de l’amour fou et du deuil.
Dans la famille du nouveau cinéma qui travaille l’artifice, conte des histoires à dormir debout, embrasse les codes du divertissement et de la cinéphilie, voici le couple franco-suisse Maxime Matray et Alexia Walther. Issus des arts plastiques, la quarantaine, les deux réalisateurs signent un premier long-métrage, Bêtes blondes, qui pourrait être l’équivalent d’une « vanité » dans l’art contemporain : un objet, un crâne en l’occurrence, qui invite à réfléchir sur la fuite du temps, la fugacité des choses… Car il est question de deuil et de tête coupée dans ce film aussi fantasque que maîtrisé, récompensé du prix Premières fictions françaises au festival Entrevues de Belfort, en 2018.
Les deux personnages principaux, Fabien (Thomas Scimeca) et Yoni (Basile Meilleurat), souffrent chacun de la disparition d’un être aimé. Le premier, ancienne star d’une sitcom, a perdu sa petite amie, Corinne, il y a plus de vingt ans, dans un accident de moto dont il a réchappé. Il en a gardé un lourd handicap, puisqu’il perd continuellement la mémoire. A chaque réveil, il a la tête vide, à l’exception du souvenir tenace de Corinne. Yoni, lui, ne se remet pas de la mort de son amoureux au prénom qui ferait plutôt penser à un animal de compagnie, Rickie (Paul Barge). Celui-ci a été décapité, et Yoni n’arrive pas à se séparer de sa tête d’ange…
Le scénario ne cherche pas à être crédible : d’emblée, la première image et quelques notes de flûte de pan nous transportent dans une douce rêverie. C’est sur une musique de Claude Debussy, arrangée, que l’on découvre Fabien, à la campagne, assoupi sur une nappe de pique-nique. Réveillé par un homme qui lui rapporte un tire-bouchon, Fabien se lève dans son état habituel, hagard, hébété, se demandant ce qu’il fait là. S’il était juste gentil, il n’y aurait pas d’histoire. Mais Fabien est rusé, parfois même sans-gêne, profiteur. Il a aussi perdu le goût, avale tout et n’importe quoi, fleurs, mégots, comme un chien errant. Fabien est la bête curieuse, pathétique, à moins qu’il ne soit un faune, un satyre dans une veine plus diabolique. Bref, il installe le malaise : que peut espérer un homme sans mémoire, condamné à vivre d’instants qu’il oubliera aussitôt, créant des malentendus et s’attirant les pires ennuis ? Yoni, dont il ne va pas tarder à croiser la route, a les pieds sur terre, mais son chagrin l’a rendu aussi fou que Fabien.
Détour par la magie
Le doux dingue et le ténébreux apprennent à s’apprivoiser. Fabien, tel un saumon, va remonter le cours d’eau comme s’il rembobinait le temps : chemin faisant, dans un récit avançant à l’envers, on découvre d’où il vient. Tout autour, de mystérieux personnages et autres « bestioles » font office de diables tentateurs ou de passeurs : Katia (Agathe Bonitzer), sidérante « belle de jour », rêve de jeux sulfureux, tandis qu’un renard en céramique va tirer Yoni d’un mauvais pas, etc.
Maxime Matray et Alexia Walther appartiennent à cette génération de cinéastes qui font le détour par la magie, le rêve éveillé, tel Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages), pour nous conter les histoires les plus sérieuses – comme aux premiers temps du cinéma avec Cocteau, Buñuel… Les réalisateurs ajoutent ici une touche de comique kistch, à la manière de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt dans Diamantino. Ici, deux garçons trimballent une tête dans un sac, comme un ballon de foot.
Le film assume un certain mauvais goût et une grande beauté visuelle : les tableaux de Bêtes blondes, ses natures mortes, ses couleurs lumineuses, son bleu électrique qui évoque le peintre Jacques Monory, ses trompe-l’œil, etc., sont une résistance au laid et à la vulgarité. On connaissait la douceur burlesque de Thomas Scimeca, qui a joué avec Sébastien Betbeder (Le Voyage au Groenland) et Jean-Christophe Meurisse (Apnée) : on découvre un héros tragique, désarmant, tandis que le pasolinien Basile Meilleurat, révélé dans Rester vertical, d’Alain Guiraudie, devient ici l’amoureux fou radical.
BÊTES BLONDES - bande annonce
Durée : 01:46
Film français de Maxime Matray et Alexia Walther. Avec Thomas Scimeca, Basile Meilleurat, Agathe Bonitzer (1 h 41). Sur le Web : www.ufo-distribution.com/movie/betes-blondes