Cercle des économistes : 2019 la fin d’un monde ?
Cercle des économistes : 2019 la fin d’un monde ?
Par Annie Kahn
L’Europe va-t-elle sortir de l’histoire ? La démocratie peut-elle éviter la faillite ? Faut-il redéfinir le rôle de l’Etat ? « Le Monde » et le Cercle des économistes en débattront lors d’une conférence, le 15 mars.
Dans son ouvrage Les Somnambules (Flammarion, 2013), sur l’avènement de la première guerre mondiale, l’historien australien Christopher Clark montre comment les principaux décideurs de l’époque – rois, empereurs, ministres des affaires étrangères, ambassadeurs, fonctionnaires… – entraînèrent l’Europe dans la guerre. Serions-nous dans la même situation ? Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, fondé en 1992 et qui réunit une trentaine d’économistes et d’universitaires, s’en inquiète et tire le signal d’alarme. « Nous sommes dans une période de convergence de difficultés majeures. La situation est explosive. Le multilatéralisme se désintègre. Les inégalités s’accroissent en raison de la bipolarisation du marché du travail, ce qui exacerbe les tensions. La technologie, comme ce fut le cas lors de chaque révolution industrielle, est un moment de rupture. Les emplois nouveaux ne remplacent pas les emplois supprimés. »
Repli nationaliste
En outre, le basculement de l’économie mondiale au profit de la Chine rebat les cartes. « Pour la première fois en 2019, l’économie des pays autocratiques comme la Chine va dépasser celle des pays européens », rappelle Yascha Mounk, politologue et professeur à Harvard, dans un entretien au Monde, publié le 31 janvier.
La crise climatique noircit encore le tableau. Et les mouvements migratoires que l’ensemble de ces contraintes – géopolitiques, économiques, sociales, climatiques – provoquent sont un facteur supplémentaire d’angoisse pour des populations fragilisées.
Ale+Ale
La société se fracture. Le mouvement des « gilets jaunes » en est l’illustration. Il est la concrétisation française d’un phénomène occidental, qui se traduit aux Etats-Unis et au Royaume-Uni par des votes en faveur d’un repli nationaliste. Tandis que « des gouvernements “illibéraux” comme ceux de la Turquie, de la Hongrie ou du Venezuela ont détruit des démocraties », selon Yasha Mounk.
Déjà, lors de la parution de son livre Un monde de violences. L’économie mondiale 2016-2030 (Eyrolles, 2015), coécrit avec Mickaël Berrebi, Jean-Hervé Lorenzi alertait : « Telles des plaques tectoniques, ces pressions en se renforçant elles-mêmes et entre elles vont attiser les foyers de nouvelles ruptures qui ne préviendront pas, ni sur la date ni sur leur intensité. »
« Pour ne pas être des somnambules, soyons des sentinelles »
La conférence « 2019 : la fin d’un monde ? », coorganisée par Le Monde et le Cercle des économistes, le 15 mars, à l’auditorium du Monde, a pour ambition d’incarner cette veille active. « Pour ne pas être des somnambules, soyons des sentinelles », insiste le président du Cercle des économistes. Avec, pour vigies, des historiens, des politiques, des chefs d’entreprise et des journalistes du Monde, qui confronteront leurs analyses… et leurs préconisations.
Le Cercle des économistes avait déjà dressé une liste d’actions à mener dans son manifeste Il n’y a pas de fatalité au chômage de masse (Cent mille milliards et Descartes & Cie, 2018). Comme son nom l’indique, cette déclaration visait essentiellement la situation de l’emploi, particulièrement problématique en France. Une remise à plat de la formation initiale et continue, pour que « la France ne soit plus une machine à exclure », y est, entre autres, souhaitée. Les services publics devront, certes, être améliorés, mais tout en étant moins coûteux pour un Etat dont la dette atteint 100 % du produit intérieur brut. Le dilemme s’accroît depuis des décennies, et il est urgent de lui trouver des solutions.
A quelques semaines des élections européennes des 23 et 26 mai, il sera aussi question des nécessaires changements à apporter au fonctionnement de l’Union, dont certains dispositifs, comme le droit de la concurrence, affaiblissent les entreprises du Vieux Continent, au lieu de les soutenir, face aux groupes chinois et nord-américains.
Si, comme le rappelle l’historien Pierre Nora, citant son confrère britannique Arnold Toynbee, « la fin d’un monde n’est pas la fin du monde », autant que ce nouveau monde soit le meilleur possible, sans ironie à la Aldous Huxley.
Ce supplément a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Cercle des économistes.