Le temps de sommeil moyen des Français passe en dessous de 7 heures par nuit
Le temps de sommeil moyen des Français passe en dessous de 7 heures par nuit
Par Pascale Santi
Les nuits des Français ont perdu entre une heure et une heure trente en 50 ans, selon le baromètre de Santé Publique France. L’omniprésence des smartphones et autres écrans, mais aussi le bruit, expliquent entre autres ce phénomène.
Les Français dorment de moins en moins. En moyenne, leurs nuits ont perdu entre une heure et une heure trente en 50 ans. / JEFF PACHOUD / AFP
Les Français dorment de moins en moins. En moyenne, leurs nuits ont perdu entre une heure et une heure trente en 50 ans. Pour la première fois, leur temps de sommeil est passé en dessous de 7 heures par nuit, en incluant les jours de repos, selon le baromètre de Santé Publique France (SPF) publié dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) mardi 12 mars. Il était en moyenne de 6 heures 42 minutes en semaine en 2017, contre 7 heures et 9 minutes dans la précédente enquête de 2010 et aux alentours de 7 heures dans d’autres sondages de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). A l’instar de tous les pays, « cette étude confirme de manière pleine et entière la haute prévalence de l’insuffisance de sommeil dans la population générale française », indique le BEH. L’enquête a été menée par téléphone auprès de 12 637 personnes de 18 à 75 ans.
Sur toute la semaine, le temps de sommeil moyen est inférieur de 19 minutes au temps idéal. Celui-ci a été calculé à partir de la question suivante : « en moyenne, de combien de temps avez-vous besoin pour être en forme ? » La réponse donnait une valeur moyenne de 7 h 14 de sommeil quotidien. Un grand nombre de Français serait donc en manque de sommeil. L’heure de coucher est assez tardive (23 h 15 en moyenne), compte tenu d’une heure de lever assez précoce (6 h 48).
La proportion de courts ou petits dormeurs (moins de 6 heures) s’est accrue, à 35,9 %, les femmes étant plus concernées que les hommes. Cela signifie donc qu’un tiers de la population s’estime en dette de sommeil (quand la différence entre temps de sommeil idéal et temps de sommeil est supérieure à 60 minutes), dont un quart en dette de sommeil sévère (lorsque cette différence dépasse 90 minutes). Ainsi 47 % des femmes entre 45 et 54 ans sont en dette de sommeil.
Effets délétères sur la santé
Cette évolution est problématique : on sait que le manque de sommeil a des effets délétères sur la santé. « Cette dette de sommeil est une épidémie qui aggrave la plupart des maladies chroniques », pointe le docteur Joëlle Adrien, présidente de l’INSV. De nombreuses études épidémiologiques montrent que dormir moins de six heures par nuit est associé à un risque plus élevé d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension, de pathologies cardiaques. Il joue aussi sur la fonction immunitaire, en accentuant le risque d’infection.
Le sommeil joue aussi un rôle dans les phénomènes de concentration, d’apprentissage, de mémorisation… Des études ont ainsi montré qu’une dette de sommeil chez les collégiens était liée à des plus faibles volumes de matière grise, dans plusieurs régions cérébrales. La durée du sommeil s’est aussi sensiblement réduite chez les enfants et les adolescents. Une mauvaise qualité et/ou quantité de sommeil accentue le risque d’irritabilité, de symptômes dépressifs, note l’Inserm.
De plus, le manque de sommeil est souvent corrélé avec plus d’accidents et un usage abusif d’alcool et de drogues. Ainsi les fumeurs quotidiens, peu ou fortement dépendants, étaient plus fréquemment courts dormeurs que les occasionnels et les non-fumeurs, note l’étude.
Comment expliquer cette diminution du temps de sommeil ? Le travail de nuit constitue une des raisons identifiées. Le nombre de travailleurs de nuit est passé de 3,3 millions en 1990 à 4,3 millions en 2013. Ensuite, le temps de trajet entre domicile et travail augmente, tant dans les mégalopoles que dans les zones rurales de plus en plus éloignées des centres de vie active : certaines personnes conduisent deux à trois heures par jour, note l’étude. Autre constat : « les personnes les moins diplômées ou vivant dans des agglomérations de plus de 200 000 habitants courent plus de risques d’être des petits dormeurs. »
Ecrans, bruit, pollution lumineuse…
Sans surprise, la baisse du temps de sommeil s’explique aussi par le temps passé devant les écrans, et ce à tout âge. En moyenne 4 h 11 par jour pour les enfants de 6 à 17 ans, et 5 h 07 pour les adultes (hors contexte professionnel), selon l’étude de SPF de 2017. Smartphones, tablettes, ordinateurs, abondance de l’offre culturelle, à toute heure de la soirée, et même parfois la nuit, jouent sur le temps consacré au sommeil, et retardent souvent le moment où l’on tombe dans les bras de Morphée. La qualité, tout autant que la durée du sommeil, s’en ressentent : nombre d’adolescents laissent leur portable allumé la nuit et sont réveillés à plusieurs reprises par des notifications. Ce comportement parfois addictif nuit gravement au sommeil. Sans compter que la lumière bleue perturbe la sécrétion de mélatonine et a des effets sur le rythme circadien (le cycle veille-sommeil).
De plus, « face à une accélération des rythmes où chacun se veut présent au monde et connecté à tout moment, le sommeil peut apparaître comme un temps facultatif, et il est bien malmené dans la compétition quotidienne qu’il mène face aux loisirs et au travail », soulignent François Bourdillon, directeur général de SPF, et Damien Léger (Centre du sommeil et de la vigilance, Hôtel-Dieu à Paris) dans l’éditorial du BEH. Notamment chez les jeunes où le sommeil est souvent la variable d’ajustement pour gagner du temps.
A cela s’ajoute l’impact négatif du bruit : avions, deux roues en ville, terrasses de café. De plus, la pollution lumineuse comme le réchauffement climatique pèsent aussi sur le sommeil. En effet, la température influe sur la qualité de sommeil. Il est admis que la température idéale pour la nuit est d’un peu moins de 20 degrés.
Point positif, l’insomnie semble avoir baissé par rapport à une prévalence de 15 à 20 % lors des précédentes enquêtes. Mais cette baisse n’est pas significative chez les femmes, bien plus touchées que les hommes. Parmi les causes de l’insomnie figure le syndrome d’apnée du sommeil qui n’est pas forcément encore suffisamment détecté, notamment chez les enfants.
La sieste, préconisée
Des propositions de prévention pour enrailler cette dégradation du sommeil sont avancées. D’abord, plus d’information, notamment en direction des populations les plus touchées. Ensuite : soigner l’environnement de la chambre, avec notamment une literie de qualité, des conseils de bon sens trop peu souvent respectés. L’incitation à la sieste est également préconisée. D’ailleurs, plus d’un quart (27,4 %) des Français s’y adonnent au moins une fois par semaine, selon le baromètre santé. L’enquête montre que bien plus aimeraient y avoir recours, mais les conditions pratiques de mise en œuvre ne sont pas souvent réunies, dans le monde professionnel ou le monde scolaire. Or, « il est démontré que lorsqu’elle est bien faite (20 à 30 minutes), elle est efficace est préventive. Il est donc aisé de la proposer plus largement », prônent François Bourdillon et Damien Léger.
Autre mesure, promouvoir l’activité physique. Plusieurs études ont montré « qu’une activité physique modérée et régulière améliorait le sommeil lent profond et diminuait les symptômes d’insomnie ». Enfin, il est conseillé d’améliorer son alimentation, et d’éviter l’alcool.
L’INSV va consacrer le thème de la 19e journée du sommeil qui se tient le 22 mars à l’évolution des modes de vie, notamment l’organisation sociale (éclatement des familles, omniprésence des écrans, relationnel fondé sur les réseaux sociaux), professionnelle (horaires atypiques, travail de nuit)…
Dans ce contexte, les experts de santé publique sont formels. Trop souvent oublié des stratégies de santé publique, le sommeil doit être considéré comme une question essentielle pour la santé, au même titre que l’alimentation ou l’exercice physique. « Ce déclin du temps et de la qualité du sommeil ne doit pas être une fatalité », souligne l’éditorial du BEH.