DVD : « Une simple histoire », Marcel Hanoun en cinéaste du dénuement
DVD : « Une simple histoire », Marcel Hanoun en cinéaste du dénuement
Par Mathieu Macheret
Son premier long-métrage réalisé en 1959 est dans la lignée du néoréalisme italien.
L’œuvre trop méconnue du grand Marcel Hanoun (1929-2012), cinéaste essayiste ignoré par les institutions pour son artisanat fait main, connaît un regain d’exposition grâce aux éditions Re:Voir, qui avaient déjà rendu disponible sa tétralogie des Saisons (1968-1972) dans un beau coffret sorti en 2016. C’est au tour d’Une simple histoire, son premier long-métrage, de faire l’objet d’une édition DVD sans bonus (mais avec un livret).
Coproduit avec la télévision française pour un budget dérisoire, tourné en 1957 dans les rues de Paris avec une poignée d’acteurs plongés parmi ses habitants, Une simple histoire semble réinvestir l’esprit du néoréalisme italien, passé au crible d’un jansénisme tout en lignes brisées, dans la lignée d’un Robert Bresson.
Tiré d’un témoignage véridique, le film relate la dégringolade d’une mère célibataire (Micheline Bezançon), jamais nommée, venue de Lille avec sa petite fille, Sylvie, pour chercher du travail à Paris. D’abord hébergée en banlieue par une connaissance, elle se retrouve bientôt à battre le pavé et rebondir d’un hôtel à l’autre, au gré des chambres disponibles, selon la mauvaise grâce des tenanciers. Alors qu’elle est arrivée avec 9 000 (anciens) francs en poche, son séjour est suspendu au décompte de cette somme qui se tarit inexorablement.
S’en tenant aux faits expurgés de tout pathos, Hanoun expose les nécessités insurmontables qui accaparent son personnage : trouver un toit, faire surveiller sa fille pendant qu’elle court les petites annonces, acheter à manger, se repérer dans le métro ou le dédale des rues, toutes choses qui finissent par la submerger.
Vidé de tout artifice dramatique (interprétation « blanche » des comédiens), filmé en pellicule 16 mm dans un noir et blanc qui souligne la dureté inhospitalière de la capitale, Une simple histoire installe de surcroît un dispositif sonore étonnant : tout du long, la femme raconte sa propre histoire en voix off par-dessus les dialogues, quitte à les faire bégayer. Ainsi dédoublé, le film suscite une étrange proximité intérieure avec ce personnage suivi pas à pas, et repousse à distance le monde extérieur, réalité de plus en plus irréelle à force d’afficher un visage glacial.
Gros plans magnifiques
Proximité qui tourne au vertige : l’argent qui part génère de l’inquiétude, mais celui qui reste nourrit une sorte de mirage, un horizon toujours plus réduit qui enferme la mère dans une attente sans fond. La solitude et l’errance s’inscrivent chaque jour dans sa chair, jusqu’à ce qu’elle finisse par en embrasser la condition. Hanoun multiplie les gros plans magnifiques sur le visage fatigué de cette femme, sur ses regards tourmentés cherchant une ligne de fuite intérieure, parce que tout autour d’elle se ferme. Ainsi le film n’est-il pas celui, attendu, de son combat social, mais celui de sa faiblesse, de son asthénie et de sa chute momentanée.
Une simple histoire, film sur le dénuement lui-même dénué de tout superflu, commence par la fin, sur le geste tendu d’une vieille dame qui accueille chez elle la femme et l’enfant après une nuit passée au-dehors, dans un terrain vague. Mais la véritable issue du film se situe ailleurs : dans ce terrain vague informe et battu par le vent, gisant aux embouchures de la ville comme le cul-de-sac universel des existences démunies.
Une simple histoire, film français (1959) de Marcel Hanoun (1 h 04). 1 DVD + 1 livret, Re:Voir, 19,90 €. Sur le Web : re-voir.com