« We the Animals » : jeux d’enfance, entre l’enfer et le paradis de la maison familiale
« We the Animals » : jeux d’enfance, entre l’enfer et le paradis de la maison familiale
Par Thomas Sotinel
La première fiction du documentariste Jeremiah Zagar se distingue du tout-venant.
Dans un foyer américain aux marges de la société, à la lisière de la ville, trois garçons grandissent, exposés aux vents mauvais – le manque d’argent, l’incertitude des lendemains, la brutalité masculine. Le plus jeune fête ses dix ans, ils ne seront bientôt plus des enfants, les murs trop minces qui les abritent encore un peu ne pourront plus les contenir. L’enjeu est aussi écrasant qu’ordinaire, sur un écran de cinéma comme dans la vie.
Documentariste qui passe ici pour la première fois à la fiction, Jeremiah Zagar s’est appuyé sur le roman semi-autobiographique de Justin Torres et sur le travail de son chef opérateur, Zak Mulligan, pour sortir son trio enfantin du tout-venant de la production indépendante américaine. We the Animals s’en distingue par sa grâce, une élégance qui nimbe le quotidien de mystère.
Jonah (Evan Rosado) et ses aînés, Manny et Joel, vivent en symbiose dans une maison entre ville et champs (le film a été tourné à Utica, dans le nord de l’Etat de New York), avec leurs parents. Ma (Sheila Vand) est d’origine italienne, Paps (Raul Castillo) est portoricain. Ils se sont connus à Brooklyn, se sont réfugiés loin de la ville dans l’espoir que leurs tumultes amoureux s’apaiseraient. Elle est ouvrière dans une brasserie, il passe d’un petit boulot à l’autre. Ils se disputent, il est violent.
La voix off de Jonah, la caméra placée à hauteur d’enfant affirment dès les premiers plans le désir de Jeremiah Zagar. Il veut voir ce microcosme à travers le regard clair de son jeune héros. Au fil des séquences, celui-ci se fait plus acéré, sans rien perdre de sa faculté d’émerveillement. Ce qui apparaissait comme des fragments arrachés aux jours d’été – trois garçons qui courent en hurlant, moments de calme sur la moquette du salon, au pied des adultes – se cristallise en une série d’épisodes qui amènent inexorablement Jonah vers la sortie du cocon.
Premier amour
Le départ du père et la prostration de la mère, une longue vacance sans école laissent les enfants livrés à eux-mêmes dans un étrange paysage où la nature empiète sur les traces d’une ancienne prospérité, usines désaffectées, silos abandonnés. On ne fait qu’entrevoir le reste du monde – une école que l’on quitte, une supérette que l’on met à sac –, mais le film ne se préoccupe que de son centre, la maison familiale qui peut être un enfer ou le paradis.
Alors qu’ils chapardent dans un potager, les frères croisent le chemin d’un fermier, qui est comme un fantôme surgi de la Grande Dépression, et de son petit-fils, un adolescent un peu demeuré qui devient, à son corps défendant, le premier amour de Jonah. Un pauvre amour boutonneux qui passe ses journées à regarder une cassette VHS (pour autant qu’il soit situé dans le temps, le film se passe à la fin du siècle dernier) sur laquelle il a enregistré des publicités pornographiques. Comme la beauté du monde, le danger qui menace Jonah est entouré du mystère et de l’incompréhension que lui confère un esprit enfantin.
Ces découvertes successives, et avant tout celle de l’identité sexuelle du protagoniste, prennent la forme à l’écran de belles séquences animées. Armé d’une boîte de Crayola, Jonah couche ses peurs et ses désirs sur papier, ces figures se mettent à bouger en un contre-chant à la réalité. Plus que par les dialogues ou le scénario, qui reste laconique, c’est par ces images fuyantes que Jonah devient une figure singulière, un caractère complexe.
Avec une application parfois un peu pesante, Jeremiah Zagar se refuse à donner à cet apprentissage la forme d’un récit linéaire. Il préfère s’appuyer sur les cadrages inventifs de ZakMulligan (qui parvient à surmonter la plupart des tics associés à la caméra portée pour en faire un instrument capable de saisir la permanence d’instants évanescents) et sur l’élégance naturelle de ses jeunes interprètes. Manny, Joel et Jonah sont si beaux à regarder, filmés avec la distance et l’étonnement propres au documentaire animalier (d’où le titre) au début du film, que c’est un crève-cœur que de voir se dessiner la faille qui se creuse entre les aînés (de vrais petits hommes) et le narrateur.
We The Animals - Bande Annonce VOST
Durée : 01:39
Film américain de Jeremiah Zagar. Avec Evan Rosado, Raul Castillo, Sheila Vand (1 h 34). Sur le Web : www.facebook.com/LFR-Films-217660571615678
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 13 mars)
- Convoi exceptionnel, film français de Bertrand Blier (à voir)
- Depuis Mediapart, documentaire français de Naruna Kaplan de Macedo (à voir)
- Ma vie avec John F. Donovan, film canadien de Xavier Dolan (à voir)
- McQueen, documentaire britannique de Ian Bonhôte et Peter Ettedgui (à voir)
- Meltem, film français et grec de Basile Doganis (à voir)
- Rosie Davis, film irlandais de Paddy Breathnach (à voir)
- Teret, film serbe d’Ogjen Glavonic (à voir)
- Wall, film israélien de Moran Ifergan (à voir)
- We the Animals, film américain de Jeremiah Zagar (à voir)
- Dragon Ball Super : Broly, film d’animation japonais de Tatsuya Nagamine (pourquoi pas)
- Lune de miel, film roumain d’Ioana Uricaru (pourquoi pas)
- Mon bébé, film français de Liza Azuelos (pourquoi pas)
- Les Témoins de Lendsdorf, film israélien d’Amichai Greenberg (pourquoi pas)
A l’affiche également :
- Aïlo, une odyssée en Laponie, film d’animation français de Guillaume Maidatchevsky
- Pau, film français de Maxim Bouffard et Alexandre Leter
- La Petite Fabrique de nuages, programme de cinq courts-métrages d’animation de Gildardo Santoyo del Castillo, Vladislav Bayramgulov, Mark C. Smith, Ilenia Cotardo et Marco Nick
- Rebelles, film français d’Allan Mauduit
- Un lien qui nous élève, documentaire français d’Oliver Dickinson