« En Algérie, la Chine n’investit pas beaucoup, mais elle compte énormément »
« En Algérie, la Chine n’investit pas beaucoup, mais elle compte énormément »
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
Pékin ne s’inquiète pas outre mesure d’un éventuel nouveau pouvoir à Alger. Même si l’empire du Milieu n’aime pas les changements de régime, précise notre chroniqueur.
La grande mosquée d’Alger, construite par l’entreprise publique China State Construction Engineering, en février 2017. / Zohra Bensemra / REUTERS
Chronique. Les manifestations en Algérie rappellent de mauvais souvenirs à la Chine. En 2011, les « printemps arabes » avaient forcé Pékin à revoir dans l’urgence ses projets, notamment en Libye où 11 000 expatriés chinois avaient dû être évacués. A l’époque, la Chine avait critiqué l’ingérence occidentale, accusant les Etats-Unis et l’Europe d’avoir cherché à l’écarter de juteux contrats dans la région. Les mouvements démocratiques en Algérie, mais aussi les manifestations contre le régime soudanais – autre grand partenaire de la Chine en Afrique – ne devraient cependant pas cette fois profondément modifier la donne. Pourquoi ?
D’abord, la « Chinafrique » version 2019 est bien différente de celle de 2011. Pékin est aujourd’hui un partenaire incontournable pour les pays africains et ce, quel que soit le régime en place. Pour preuve, le vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, se rendra dans les prochains jours à Pékin avec pour objectif de rassurer le premier partenaire commercial de l’Algérie. Non seulement l’empire du Milieu y vend ses voitures, ses téléphones portables et son textile, mais l’Algérie accueille surtout 40 000 ressortissants chinois, dont 2 000 sont même naturalisés. C’est l’un des pays d’Afrique qui compte le plus d’ouvriers chinois dans le monde.
Une image ambivalente
Les relations entre les deux pays, sans même revenir au mouvement des non-alignés et à la conférence de Bandung en 1955, tiennent dans un partenariat stratégique global signé en 2014 par le président Bouteflika et son homologue chinois. Le premier plan quinquennal sino-algérien s’étend sur la période 2014-2018.
Deux projets symboliques illustrent cette relation : la construction de la grande mosquée et celle du grand opéra à Alger. Ils sont le symbole d’une relation économique essentiellement fondée sur la prestation de services. La Chine construit des infrastructures, du grand barrage de Draa Diss à l’autoroute Est-Ouest, en passant par des logements à bas coûts qui servent la politique du pouvoir en place.
« L’arbitrage a été fait en faveur du court terme et au détriment du long terme, analyse Thierry Pairault, directeur de recherche au CNRS et auteur d’une étude sur la présence économique chinoise en Algérie. En ce sens, la Chine, même si elle a bien été instrumentalisée par le pouvoir algérien, a moins été une opportunité pour l’économie algérienne qu’elle ne l’a été pour le pouvoir en place, qui espérait acheter la paix sociale et garantir sa pérennité par des travaux pharaoniques. » Cela explique que l’image de la Chine en Algérie est ambivalente, comme c’est le cas dans tous les pays africains. D’un côté, on la craint et, de l’autre, on en profite.
En position de force
L’Algérie fait partie, comme le Maroc, des fameuses « nouvelles routes de la soie » permettant aux entreprises chinoises de bénéficier d’un soutien fort de Pékin dans leurs projets au Maghreb. Le port de Cherchell en est l’une des émanations. On compte aujourd’hui au moins une centaine de projets chinois d’investissements, selon la base de données du ministère chinois du commerce, le Mofcom. C’est très peu à l’échelle de la Chine, mais c’est important pour l’Algérie. On pourrait résumer cette relation d’une seule phrase : la Chine n’investit pas beaucoup, mais elle compte énormément.
Pékin ne s’inquiète donc pas outre mesure d’un éventuel changement de pouvoir. Pour ses industriels, l’Algérie ne représente pas un axe majeur. L’Algérie a importé en 2018 l’équivalent de 7,850 milliards de dollars (près de 7 milliards d’euros) de biens et services chinois, mais cela ne représente que 17 % des échanges entre la Chine et l’Afrique du Nord et une goutte d’eau par rapport aux échanges sino-africains. Surtout, à l’exception du groupe pétrolier et chimique chinois Sinopec à Zarzaïtine, à l’est du pays, l’Algérie n’est pas un pays stratégique pour les importations chinoises de gaz et de pétrole, comparé à l’Angola ou au Soudan.
Certes, la Chine n’aime pas les changements de régime, car elle lui faudra s’adapter et tisser sans doute de nouveaux liens. Mais elle apparaît aujourd’hui en position de force et, quel que soit le successeur de Bouteflika, il aura besoin de Pékin pour équilibrer ses relations avec Paris, Washington ou Moscou.
Avant même l’indépendance de l’Algérie en 1962, Pékin a été l’un des premiers à reconnaître le gouvernement provisoire qui partageait avec le régime communiste une culture révolutionnaire. La République populaire a financé et armé pendant des années le FLN algérien contre les autorités françaises, via l’Egypte de Nasser.
S’associer à des partenaires occidentaux
Au-delà de l’histoire, la Chine n’est plus aussi innocente et envisage ses projets de coopération à l’aune de ses nombreux déboires, que ce soit au Venezuela ou en Malaisie où les changements de régime ont remis en cause ses projets. La Chine ne veut plus « sortir seule » et souhaite dans la mesure du possible s’associer à des partenaires occidentaux afin de limiter la casse en cas de changement de régime.
A ce titre, le cas du port de Kribi au Cameroun est révélateur. On est passé d’un partenariat public privé (PPP) à une concession avec le versement de redevances aux entreprises chinoises adossées à des groupes français comme Bolloré et CMA CGM. « La Chine n’est plus seule et, surtout, elle doit dialoguer avec les gouvernements africains. C’est une évolution récente mais importante de la stratégie des entreprises chinoises en Afrique », selon Thierry Pairault.
Dans ce cadre nouveau, la situation en Algérie ressemble aujourd’hui à celle de toutes les coopérations sino-africaines. Pour que le partenariat fonctionne contre vents et marées, il ne suffit pas que les gouvernements instrumentalisent les entreprises pour servir leurs seules ambitions politiques. Les investissements, surtout quand ils sont adossés à des prêts, doivent s’inscrire dans une stratégie claire de développement économique. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront servir les intérêts des peuples et durer. « Alors seulement, conclut Thierry Pairault, on pourra se demander si la Chine est effectivement une opportunité, et si le soutien financier aux entreprises chinoises pourra être utilisé au profit du développement de l’Algérie, comme de l’Afrique dans son ensemble. »
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.