« Comprame un revolver » : les enfants d’un Mexique apocalyptique
« Comprame un revolver » : les enfants d’un Mexique apocalyptique
Par Thomas Sotinel
A partir de la réalité du pays, Julio Hernandez Cordon invente une dystopie infernale et enchantée.
Lorsque l’on pratique le jeu délicieusement masochiste de la dystopie, il faut – pour mettre en scène l’enfer à venir – imaginer une catastrophe sans précédent : guerre nucléaire, désastre écologique, pandémie… Julio Hernandez Cordon n’a rien imaginé du tout. Le cinéaste, qui se définit comme « mésoaméricain » (il est de mère guatémaltèque et de père mexicain), a regardé la réalité du Mexique d’aujourd’hui et l’a à peine exagérée. Une société d’hommes armés, trafiquants de drogue, tueurs de femmes, qui martyrisent les faibles, et en premier lieu les enfants. L’Etat a tout à fait disparu, les hommes ont tué les femmes ou les ont poussées à l’exil, ne restent que de dérisoires féodalités surarmées.
S’il se contentait de cette caricature à peine outrée, Comprame un revolver (Achète-moi un revolver) pourrait être le plus déprimant des films. Mais Hernandez Cordon a voulu pratiquer un optimisme moderne, qui veut voir au-delà du pire à venir. Son héroïne s’appelle Huck, comme Huckleberry Finn, le jeune garçon imaginé par Mark Twain, qui, en compagnie du fugitif Jim, descend le fleuve pour échapper à la servitude. Malgré des moyens dérisoires, le cinéaste organise un jeu de piste tour à tour éprouvant et joyeux, qui oppose la soif de vivre des enfants aux rites mortifères des hommes adultes.
Huck vit dans une région désertique, sur un terrain de base-ball, en compagnie de son père, gardien des lieux, un héroïnomane qui a réussi à dissimuler le sexe de sa fille à ses maîtres, des narcotrafiquants qui aiment de temps en temps à se prendre pour des Yankees. Aux alentours, une petite bande de garçons qui ont déserté les rangs des narcos espèrent prendre leur revanche sur leurs anciens geôliers.
C’est un microcosme infernal, mais la mise en scène ménage des interstices de liberté dans sa logique concentrationnaire. Entre le père et sa fille, Hernandez Cordon prend le temps de dessiner une relation forte, fondée sur le deuil d’une mère enlevée, disparue dans l’enfer des hommes. Le seul homme de bien de tout le film sera donc un junkie, capable d’actes de bravoure, mais aussi d’aveuglement, lorsqu’il emmène avec lui Huck à la grande fête des brigands, où il doit diriger l’orchestre.
Un monde défait
Ce voyage dans un convoi militaire dérisoire et inquiétant est un procédé pour faire avancer l’histoire vers la réunion entre Huck et les garçons sauvages (le réalisateur-scénariste ne fait pas mystère de son amour pour la littérature dite enfantine), c’est aussi une manière cursive, juste et acérée de désigner le poids insupportable du crime organisé sur la vie sociale. Sur le terrain de base-ball, sur la piste de danse, le jeu et la musique n’ont le droit que de vivoter, à la merci de la logique de la violence et de l’avidité toujours prête à s’imposer par les armes. Pour sortir de ce piège, il faut que la providence intervienne (elle le fera sans ménagement, en une des séquences qui empêchent Comprame un revolver d’être le film pour enfants qu’il voudrait autrement être) afin de faire voguer Huck et ses amis vers des cieux plus cléments.
Là encore, Hernandez Cordon se sert de décors étonnants pour donner – avec trois fois rien – la sensation d’un monde défait, ou la seule certitude qui reste est celle du sens du courant qui emmène les enfants vers le large. Il aurait fallu plus de temps de tournage, plus d’accessoires et de figurants pour que l’épopée esquissée prenne toute sa mesure. Ces limites n’empêchent pas Comprame un revolver d’arriver à ses fins : mettre sous les yeux du monde (enfin, de ceux de ses habitants qui voudront bien aller voir ce beau film) le sort des premières victimes de la violence de la guerre qui ravage l’Amérique centrale : les enfants.
Bande annonce officielle de "Comprame un revolver" de Julio Hernandez Cordon
Durée : 02:05
Film mexicain de Julio Hernandez Cordon. Avec Matilde Hernandez Guinea, Angel Leonel (1 h 24). Sur le Web : www.rezofilms.com/distribution/comprame-un-revolver