La grande prêtresse vaudoue ne pouvait pas tordre le cou des poulets
La grande prêtresse vaudoue ne pouvait pas tordre le cou des poulets
LE MONDE ARGENT
La Cour de cassation juge que le principe de la liberté religieuse n’autorise pas la pratique de sévices et d’actes de cruauté sur des animaux – en l’occurrence le sacrifice de poules et de chèvres. Des « prestations » pouvant être facturés plusieurs milliers d’euros.
Des sacrifices de poules ou des chèvres étaient organisés à mains nues ou avec un sabre. / James Hardy/PhotoAlto / Photononstop
SOS CONSO. A la fin du mois d’octobre 2006, les renseignements généraux de Montmorency (Val-d’Oise) signalent aux gendarmes qu’une famille de Marly-la-Ville est susceptible de se livrer à des agissements de type sectaire, sous couvert de rites vaudous. Les investigations des gendarmes permettent de découvrir que la mère, Mélitte J., qui se fait appeler « Maman », ou « Mazacca la Croix », organise des cérémonies au cours desquelles elle sacrifie des animaux, avant d’asperger les personnes présentes de leur sang, celui-ci étant censé les purifier.
Mélitte J., née en 1950 à Basse-Pointe (Martinique), employée de la Sécurité sociale jusqu’en 1990, se proclame voyante et guérisseuse, après avoir été formée aux rites vaudous à Haïti. Le mardi soir et le jeudi soir, elle propose des consultations – facturées 100 euros – dans son pavillon. Ses clients sont des membres de la communauté antillaise, victimes d’un deuil, d’un chagrin ou d’une maladie, qui lui demandent de les aider à traverser cette épreuve.
Droit d’entrée et cadeaux
Le plus souvent, Mélitte J. répond qu’une simple consultation ne suffira pas, et qu’un « travail » est nécessaire, travail dont le coût (à partir de 3 000 euros) dépend du temps qu’elle y passera. Le « travail » se fait le samedi soir, lors de cérémonies commençant vers 19 heures ou 20 heures, et se terminant au petit matin, devant une assistance qui comprend adultes et enfants, chantant, dansant et priant, parfois jusqu’à la transe. Aux « travaux » peuvent s’ajouter des « initiations » de trois jours, que l’adepte passe couché dans le sous-sol de la maison de Marly, et pour lesquelles il paie plus de 10 000 euros. Il y a aussi des « fêtes » de plusieurs jours, trois fois par an, dont le droit d’entrée est de 200 euros par famille, sans compter les cadeaux – bouteilles de champagne, rhum, vêtements, bijoux…
Lors de ces fêtes, « Mazacca la Croix » est secondée par son mari, Hugues J., surnommé « Parrain », ancien brigadier de police, mais aussi par ses deux filles, Murielle et Véronique, qui accueillent les gens et jouent du tambour. Elle sacrifie des poules ou des chèvres, à mains nues ou avec un sabre. Des témoins assurent en effet qu’elle « peut tordre le cou des poules avec ses mains ». Elle prend alors le sang de l’animal et le dépose sur la partie malade d’un participant, ou bien trace une croix sur le front d’un adepte ou encore asperge l’assistance.
Abus de faiblesse
Le 11 avril 2016, le tribunal correctionnel de Pontoise la déclare « coupable d’abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne, par dirigeant d’un groupement poursuivant des activités de gérant, maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants ». Il la condamne à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Il ordonne aussi la confiscation de son pavillon de Marly-la-Ville, où a eu lieu l’infraction.
Il condamne aussi la grande prêtresse à indemniser douze personnes qui se sont portées partie civile. Mais il considère qu’elle n’est pas coupable de sévices envers des animaux, infraction dont la Fondation assistance aux animaux demandait qu’elle soit poursuivie, en invoquant l’article 521-1 du code pénal, selon lequel « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ». Mme J. et son mari, qui l’aidait parfois, avaient en effet fait valoir qu’ils n’avaient « nullement eu l’intention d’infliger aux animaux une souffrance » et qu’ils avaient agi « comme dans le cadre d’un abattage rituel ».
Abattage rituel
Mme J. fait appel, et la cour d’appel de Versailles, qui statue le 3 juillet 2018, confirme sa culpabilité pour les faits d’abus de faiblesse sur personne en état de sujétion psychologique par dirigeant d’un groupement ; elle allège toutefois sa peine de prison (quatre ans dont deux avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans).
Elle infirme le jugement qui l’a relaxée du chef de sévices sur animaux : « Il n’est pas discuté que des poules, pigeons, moutons, caprins ont été tués par Mélite J. dans le temple situé au domicile des époux. Son époux l’a aidée lorsqu’il s’agissait d’un gros animal. » En effet, rappelle la cour, « en application de l’article R 214-73 du code rural, il est interdit à toute personne de procéder ou faire procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir ». En outre, « les époux J. n’ont utilisé aucune méthode d’endormissement avant de procéder à l’abattage d’un grand nombre d’animaux ». Ils sont condamnés à payer 1 000 euros à la Fondation Assistance aux Animaux.
Liberté religieuse
Mélitte J. se pourvoit en cassation, en posant notamment une question prioritaire de constitutionnalité. Elle demande « si les dispositions de l’article 521-1 du code pénal, en tant qu’elles ne prévoient pas une exception pour les actes consistant à mettre à mort un animal dans le contexte religieux d’un sacrifice à une divinité, sont contraires au principe de liberté religieuse ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi ».
La Cour de cassation, qui statue le 5 mars 2019, répond que « le principe de liberté religieuse n’implique pas que soit autorisée la pratique, sur les animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité, de sévices et actes de cruauté », à savoir « des actes accomplis intentionnellement dans le but de provoquer leur souffrance ou leur mort ». La cour juge en outre que « le principe d’égalité n’impose pas d’étendre l’exonération de responsabilité pénale », prévue par le code pénal pour les combats de coqs et les courses de taureaux, « dans les régions où ils font partie d’une tradition ininterrompue », à d’autres cas. Elle refuse de transmettre la question au Conseil constitutionnel.