La « guerre massive » des Etats-Unis en Somalie
La « guerre massive » des Etats-Unis en Somalie
Par Christophe Châtelot
Depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, 110 frappes ont été menées contre les Chabab, sans parvenir à affaiblir le mouvement.
A Mogadiscio, devant le complexe de bâtiments administratifs frappés par une attaque Chabab le 23 mars 2019. / Feisal Omar/REUTERS
« En coordination avec le gouvernement fédéral somalien, les forces américaines ont conduit des frappes aériennes contre des combattants Chabab afin de briser leur capacité à planifier et à exécuter des attaques contre la population somalienne… . » La formule est rodée. Il ne reste plus qu’à remplir les blancs pour renseigner le lieu de l’attaque et le nombre de victimes déclarés. Depuis l’arrivée du président américain Donald Trump début 2017, les communiqués de ce genre émis par le commandement américain pour l’Afrique (Africom) tombent en effet à un rythme effréné. Selon le décompte officiel publié mercredi 20 mars, l’armée américaine, essentiellement grâce à ses drones, a frappé 110 fois – tuant plus de « 800 terroristes » – depuis juin 2017. Soit trois fois plus que durant les deux mandats de Barack Obama (2009-2017). L’activité enregistrée depuis le début de l’année laisse penser que le record de 2018 – près d’une frappe hebdomadaire – pourrait être battu.
Alors que le président Trump a annoncé un fléchissement de l’engagement militaire américain en Afrique et dans d’autres régions du monde – tels que la Syrie ou l’Afghanistan –, les Etats-Unis intensifient leur intervention en Somalie. « Nous [y] maintiendrons notre capacité d’intervention », a confirmé récemment le chef de l’Africom, le général Thomas D. Waldhauser, devant la commission des forces armées de la Chambre des représentants. Sans que l’on en discerne précisément les raisons ni que cela provoque de débats.
« Hostilité active »
Peu après son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a inclus la Somalie dans les « zones d’hostilité active » (« area of active hostilities »), en d’autres termes, une zone de conflit où sont stationnés environ 500 militaires américains, principalement des forces spéciales destinées à la formation des soldats somaliens et à la lutte antiterroriste. En conséquence, la chaîne de commandement autorisant une frappe aérienne a été considérablement raccourcie, laissant une plus grande latitude aux officiers de terrain là où, auparavant, les processus de décision remontaient aux plus hauts niveaux de commandement.
Autre effet induit, ces frappes ne concernent plus uniquement des cibles de haute valeur parmi les dirigeants Chabab, mais tout militant soupçonné d’appartenir à ce mouvement affilié à Al-Qaida depuis 2012. D’où une augmentation conséquente du nombre de victimes, sachant que ce bilan est sous-évalué. On ne dispose en effet d’aucune information sur les attaques menées, notamment, par la CIA qui, à l’inverse de l’US Army, agit dans le plus grand secret.
« Il faut prendre conscience du fait qu’une guerre massive se déroule là-bas », avertissait récemment Brittany Brown, spécialiste de la Somalie et membre de la direction du cercle de réflexion International Crisis Group (ICG). Une guerre, disait-elle au New York Times dans son édition du 10 mars, conduite « en pilotage automatique » par l’armée américaine. Certes la Somalie occupe une position stratégique clé dans la corne de l’Afrique, mais nombre d’observateurs se demandent quelle stratégie américaine à long terme se cache derrière ces frappes aériennes redoublées.
Se pose également la question de leur efficacité car, sur le terrain, les Chabab, loin de se désagréger, multiplient les attaques et attentats dans la capitale, Mogadiscio, et ses environs tout en gardant le contrôle d’environ un cinquième du territoire national, essentiellement des zones rurales. « Le mouvement se renforce parce que ses ennemis sont plus faibles et désorganisés », note Roland Marchal, spécialiste de la Corne de l’Afrique et chargé de recherche au CNRS. Cela concerne en premier lieu les autorités centrales somaliennes depuis l’élection, en février 2017, du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Farmaajo. « Mogadiscio n’a aucune stratégie politique à long terme contre les Chabab. Parallèlement, le nouveau président a politisé les agences de sécurité nationales réduisant leur efficacité parce qu’elles ont perdu la confiance de la population qui existait avec la précédente équipe », ajoute le chercheur.
Zones soudainement exposées
Ce malaise associé à la mauvaise gouvernance rejaillit sur l’armée nationale somalienne (ANS). Plusieurs attaques récentes se sont ainsi déroulées dans des zones soudainement exposées. « Des contingents de l’ANS ont abandonné trois de leurs bases durant la semaine pour protester contre les retards dans le paiement de leurs soldes », peut-on lire dans un article publié le 24 mars par l’hebdomadaire kenyan The East African.
Aux faiblesses du gouvernement et à la démoralisation de l’armée somalienne, s’ajoutent les interrogations portant sur l’avenir de l’Amisom, la mission régionale de maintien de la paix en Somalie menée par l’Union africaine avec l’aval des Nations unies. Une résolution de l’ONU votée fin février prévoit ainsi de réduire les effectifs de l’Amisom de 1 000 hommes sur un total de 22 000, provoquant une vague de protestations officielles de la part du Burundi et de l’Angola.
Ces deux importants contributeurs en hommes de l’Amisom estiment que cet ajustement aggraverait la vulnérabilité de la mission face aux attaques des Chabab. En 2016, ceux-ci avaient rapidement réinvesti les zones jusqu’alors contrôlées par quelque 4 000 soldats éthiopiens. Addis-Abeba avait alors décidé de se retirer pour protester contre le manque de soutien international.