Polémique autour du pavillon algérien de la Biennale d’art contemporain de Venise
Polémique autour du pavillon algérien de la Biennale d’art contemporain de Venise
Par Roxana Azimi
L’Algérie sera présente pour la première fois à la manifestation italienne. Une participation qui fait débat au regard de la contestation actuelle dans le pays.
« A la recherche du pavillon algérien » : performance pendant la Biennale de Venise en 2013. / Amina Zoubir
Pour la première fois, l’Algérie disposera d’un pavillon à la Biennale de Venise. « Un temps pour briller », tel est d’ailleurs le libellé choisi par le curateur de ce pavillon, le peintre et designer Hellal Zoubir, chargé de mettre en scène la présence de ce pays pour ce moment-clé de l’art contemporain qui se déroule du 11 mai au 24 novembre.
Pourtant, aux yeux de plusieurs acteurs de la scène algérienne, la fête est gâchée avant d’avoir commencé. Alors que, depuis plus de quatre semaines, des centaines de milliers d’Algériens manifestent pacifiquement contre la classe politique dirigeante, ce pavillon incarne même « l’ancien régime », écrit la curatrice algérienne Yamina Reggad dans un post Facebook.
Le malaise commence par un immense silence. Les acteurs les plus reconnus, les plus impliqués dans la scène algérienne n’ont eu vent de cette initiative que le jour de l’annonce, le 11 mars. « J’aurais été très fière si ce premier pavillon n’était pas représentatif d’un système que le peuple refuse, confie au Monde Afrique une artiste de la diaspora qui préfère garder l’anonymat. Nous l’avons découvert sur le site de la Biennale de Venise. Et même les artistes sur place – j’étais avec eux à Alger pendant deux semaines – ont été choqués. Vous imaginez bien que c’est une petite scène et tout se sait. Mais bizarrement pas ça… »
« C’est un conflit d’intérêts ! »
Sur la méthode, Hellal Zoubir a sa réponse. « Je suis un résilient qui travaille en douce pour faire aboutir les choses », réplique ce fin connaisseur des arcanes du pouvoir, qui fut un des commissaires de l’Année de l’Algérie en France en 2001 et curateur pour la section design du 2e Festival panafricain en 2009 à Alger. Hellal Zoubir dit avoir présenté un premier dossier au ministère de la culture en juin 2018. Les pourparlers auraient traîné jusqu’à fin novembre et le curateur n’aurait finalement été adoubé que le 5 février. Celui-ci aurait dès lors rapidement choisi cinq créateurs basés pour la plupart en Algérie : Rachida Azdaou, Hamza Bounoua, Mourad Krinah, Oussama Tabti… et Amina Zoubir.
Et c’est là où le bât blesse : Hellal Zoubir y a inclus sa fille, une artiste notamment remarquée à la dernière Biennale de Dakar en 2017. « Les curateurs intègrent parfois leurs copains, copines, épouses, époux, mais pas leur fille. C’est un conflit d’intérêts ! », s’étrangle une artiste. A cette critique, le curateur répond n’avoir « pas choisi Amina parce que c’est ma fille, mais parce que c’est une artiste active, qui a contribué par ses contacts à permettre cette participation. J’ai pris le risque en tout état de cause. C’est elle qui m’avait mis au défi de réussir à faire en sorte que l’Algérie ait un pavillon à Venise. Ce n’est pas le pavillon de son père, mais celui de son pays ».
Un positionnement contesté
Amina Zoubir dit quant à elle ne pas vouloir « donner d’audience à la polémique qui concerne quelques personnes mécontentes de ne pas avoir réussi à réaliser ce pavillon ». Et d’ajouter : « Je fréquente la Biennale de Venise depuis 2011. A chaque édition, j’ai orchestré des performances dans la ville pour demander aux Vénitiens de m’aider à chercher le pavillon algérien. Je l’ai toujours cherché, jusqu’au moment où j’ai décidé de contribuer à sa naissance en reliant les deux autorités compétentes à sa réalisation. »
Or, c’est aussi ce positionnement qui est aujourd’hui contesté. « On me voit comme un suppôt de l’Etat. Mais je pense qu’il faut y aller, l’Algérie mérite d’être représentée, plaide Hellal Zoubir. C’est une chance de mettre certains artistes sur le devant de la scène parce qu’ils peuvent nous donner un nouvel élan qui nous a tant manqué ces dernières années. »
Ce à quoi réplique le 21 mars sur Facebook une lettre ouverte d’un collectif qui se présente comme la communauté artistique algérienne : « Nous rejetons tout projet artistique porté, présenté et/ou financé par les institutions en place au moyen de deniers publics sur le territoire algérien et à l’étranger, et ce jusqu’à l’issue d’un processus de transition démocratique effectif, dont notamment la participation à la 58e Biennale d’art contemporain de Venise par l’organisation d’un premier pavillon national algérien… Nous exigeons aux côtés du peuple algérien le départ immédiat du régime en place et la dissolution de son ministère de la culture, jusqu’à l’avènement d’une transition démocratique exigée et guidée par le peuple algérien. »