A l’université d’Oxford, le Brexit sonnera le glas des études pour de nombreux Européens
A l’université d’Oxford, le Brexit sonnera le glas des études pour de nombreux Européens
En provoquant une augmentation inéluctable des frais d’inscription pour les étudiants européens, le Brexit va accélérer la transformation de la population étudiante d’Oxford, déjà très internationale.
Deux Français au pays du Brexit
A une centaine de kilomètres au nord-ouest de Londres, la ville d’Oxford, renommée pour sa prestigieuse université, est un bastion anti-Brexit : 70 % de ses habitants se sont prononcés pour le maintien dans l’Union européenne lors du référendum de 2016. En poste depuis septembre à la Maison française d’Oxford, Agnès Alexandre-Collier et Thomas Lacroix livrent pour Le Monde leur regard de chercheurs et de ressortissants français installés pour deux ans avec leurs familles.
Le Brexit, s’il finit par arriver un jour, va radicalement transformer la célèbre université. L’un d’entre nous (Agnès) a passé plus d’un an à Oxford il y a vingt-cinq ans dans le cadre d’un programme d’échange entre étudiants de Paris et d’Oxford. La communauté étudiante d’Oxford était essentiellement britannique, même si à St. Antony’s College, spécialisé dans les relations internationales, on trouvait quelques étudiants étrangers, surtout américains.
Aujourd’hui, quand on déambule dans les rues d’Oxford, on est frappé de croiser beaucoup d’étudiants asiatiques. Et pour cause, en vingt ans, l’université est devenue l’un des principaux centres européens de recherche sur la Chine. L’université d’Oxford accueille 24 000 étudiants, tous niveaux confondus, dont 13 500 Britanniques, 4 000 ressortissants de l’Union européenne et 6 500 internationaux. Parmi ces derniers, 1 500 sont américains et 1 300 chinois, le reste provenant du Canada, d’Inde, d’Australie et de Singapour. Au University College London et à l’Imperial College, qui constituent avec Oxford et Cambridge le « top 4 » des universités britanniques les plus prestigieuses, c’est l’Arabie saoudite qui fournit l’un des principaux viviers d’étudiants étrangers.
Le Brexit va accélérer cette transformation de la population étudiante. En cause, l’augmentation des frais d’inscription bien entendu. Les étudiants européens qui bénéficiaient jusqu’à présent des mêmes frais d’inscription que les Britanniques (9 000 livres sterling, 10 500 euros) seraient propulsés au statut d’étudiants internationaux et devraient sans doute payer la modique somme de 24 000 euros, voire davantage selon le diplôme préparé (Bachelor of Arts/Science ou Master). Pour Diane, étudiante en mathématiques à l’université de Sheffield, dans le nord du pays, cette augmentation sonne le glas de ses projets d’études prolongés ici. Mais pour elle, le Brexit signifie aussi la fin d’un « état d’esprit », celui de la belle « communauté Erasmus » qui rassemble les étudiants britanniques et européens…
Visite de Marion Maréchal-Le Pen
Oxford a beau être une bulle anti-Brexit, l’université n’en demeure pas moins traversée par les lignes de fracture de la société anglaise. Ici aussi, les remous du populisme suscitent des discussions, comme celle provoquée par l’Oxford Union, société étudiante bicentenaire, qui a fait le buzz en invitant Marion Maréchal-Le Pen. « Et c’est très bien qu’ils l’aient fait », nous dit Lola, une doctorante normalienne qui fait sa thèse ici. Même avis exprimé par un militant UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) venu écouter un séminaire sur le Brexit : « je propose que l’on chante la Marseillaise en l’honneur de Marion Maréchal », déclare-t-il devant l’auditoire médusé.
Alors, Oxford, anti-Brexit ? Il faut dire que les artisans du « leave » sont pour la plupart issus du sérail : Jacob Rees Mogg, Dominic Cummings, Boris Johnson, sans oublier David Cameron, celui par qui le référendum est arrivé… Ils sont tous diplômés de l’université.
Même si ces prises de positions restent minoritaires, l’amertume demeure. Dans le bus qui menait à la manifestation massive du samedi 23 mars à Londres, un étudiant exprime son incompréhension : « j’y vais pour exprimer ma colère de jeune face à cette génération qui a hypothéqué un avenir qu’ils n’auront pas à gérer ». Plus frappant encore, le désarroi des spécialistes de la société anglaise qui ne l’ont pas vu venir. « Franchement, depuis combien de temps ne sommes-nous pas allés ne serait-ce qu’à Cowley ? ». Ce ponte du centre d’études européennes parle ici du quartier populaire de la ville d’Oxford, dans un aveu de déconnexion plutôt déconcertant provenant de personnes censées former les futurs dirigeants de ce pays.
« Il faudrait tous les traîner en justice »
Même pour ceux dont les préoccupations scientifiques sont très éloignées des considérations européennes, la colère domine. En visite au département d’astrophysique pour une journée portes ouvertes, nous discutons du retrait du Royaume-Uni de l’Agence spatiale européenne. Le sujet perce la couche de flegme habituel : « je ne veux même pas en parler, pour moi il faudrait tous les traîner en justice », dit notre interlocuteur en parlant des politiques. Et pour cause, le retrait des universités anglaises du système de financement européen va avoir des conséquences dramatiques.
C’est particulièrement vrai pour les départements dont les travaux n’ont pas de retombées économiques immédiates : l’astrophysique, les mathématiques fondamentales, l’archéologie… Pour ces chercheurs, il y a peu de sources de financement alternatives. Ce n’est pas seulement la population des étudiants qui est ici touchée, mais l’ensemble de la plus européenne des universités.
Après une soirée à visionner L’Auberge espagnole, de Cédric Klapisch, l’une de nos aînés, qui sera étudiante dans 3 ans et rêve déjà d’étudier en Angleterre, se verrait bien, comme dans le film, partager un appartement avec une Espagnole, un Danois, un Allemand, un Italien… Mais à moins de gagner au Loto ou de l’enfermer quinze heures par jour pendant 5 ans pour qu’elle intègre une grande école (qui offre des années à l’étranger à ses étudiants), on aura beaucoup de mal à l’aider à réaliser son rêve. Et si par le plus grand des hasards, celui-ci se produisait, c’est plutôt à une auberge britannique que ressemblerait son logement : Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Inde, Chine,… bref, un zeste de Commonwealth, un soupçon d’Anglosphère et une forte globalisation. Un peu à l’image du rôle mondial auquel le Royaume-Uni aspire après le Brexit.