Jeunes : s’engager pour mieux se trouver
Jeunes : s’engager pour mieux se trouver
Par Léa Iribarnegaray
Construire une société plus solidaire et se sentir utile socialement sont les moteurs de l’engagement de nombreux jeunes, qui expérimentent ces changements à leur échelle. Une quête d’un autre modèle de vie, qui est aussi une quête de soi.
Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés... « Le Monde » vous donne à Paris les samedi 6 et dimanche 7 avril à Ground Control (XIIe) pour de nouvelles éditions des événements O21 /S’orienter au 21e siècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour réfléchir à son avenir et trouver sa voie. Plus d’informations ici.
Eva Charon, l’une des coordinatrices de « La Base »,un nouvel espace dédié à la mobilisation citoyenne pour le climat, lors de la soirée d’inauguration, à Paris, le 30 mars. / Chris Charousset
Peu visibles sur les ronds-points, peu audibles dans le grand débat national, les jeunes seraient-ils trop inquiets face à l’avenir pour s’engager au présent ? L’hypothèse est aussi répandue qu’erronée. « Il faut arrêter de se centrer sur ce qui est le plus visible des mouvements sociaux, affirme Geoffrey Pleyers, sociologue à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Les manifestations ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Quand je demande à un jeune combien d’heures il consacre à son engagement, il ne peut pas répondre. Qu’on soit écologiste ou féministe, on l’est ou on ne l’est pas !De l’alimentation à la sexualité, cela modifie la vie quotidienne du matin au soir, et même la nuit. »
Les petits matins auraient succédé aux grands soirs ? « Puisqu’il n’existe plus de manière claire de changer le monde, on va mettre en œuvre soi-même l’autre monde, dans sa classe, dans son organisation étudiante… », poursuit Geoffrey Pleyers. Le changement commence ici et maintenant, et comprend une transformation de soi. « Il y a bien sûr chez les jeunes une dimension de résistance extérieure – contre le capitalisme, le racisme, etc. – mais aussi une lutte interne, avec une mise en pratique directe d’alternatives locales et concrètes. »
Vivre dans sept mètres carrés, sans superflu, c’est le choix qu’ont fait Anton Deums et Romane Pessey-Magnifique à la fin de leurs études, en 2015. Diplômés de l’école supérieure de commerce et de développement 3A à Lyon, ils s’achètent un Ford Transit de 1983 pour y construire leur maison en bois. Inspirés par le mouvement des Tiny Houses,des petits habitats écologiques sur roues, ils passent des heures sur YouTube devant des tutos. « Nous ne sommes ni menuisiers ni plombiers… Ça a pris beaucoup plus de temps que prévu !, se remémore Romane, 24 ans. Mais nous voulions vivre en accord avec nos convictions. Réussir à mêler écologie, partage, éducation et voyage dans un seul projet nous semblait impossible. Alors on a créé nous-mêmes les conditions de notre autonomie. »
« Laboratoire mobile et collectif »
A l’aide d’une campagne de financement participatif, le couple invente le Mobilab Songo, un « laboratoire mobile et collectif pour un mode de vie durable », afin de « partir à la rencontre des artisans de ce monde en transition ». A l’instar d’un écosystème en permaculture, dans le Mobilab Songo, chaque élément peut être utile à un autre : récupération des eaux de pluie, toilettes sèches, machine à laver à pédales, poêle à bois fabriqué avec d’anciens matériaux recyclés… Sur les routes depuis mars 2017, le couple redouble d’inventivité pour atteindre sa propre version de la frugalité, transmettant aux autres ce qu’il apprend par de multiples ateliers physiques et vidéos en ligne.
« Au départ, nos proches s’attendaient à ce que l’on fasse carrière. Les premières discussions avec la famille ont été folklo ! », se souvient Romane, aujourd’hui ravie d’avoir fait disparaître « la part de travail subi » pour ne garder que le « travail choisi ». Anton souligne qu’ils ne cherchent pas à présenter leur projet sous l’angle idéologique : « C’est plus facile de tisser des liens par le “faire” : comment on mange, comment on travaille ensemble, etc. Cela décoince beaucoup de discussions avec des gens de tout bord. »
Signe que les frontières s’estompent entre vie quotidienne et engagement, certains activistes se disent même « activiens ». Il ne suffit pas d’aller chercher son panier bio dans une AMAP (association favorisant une agriculture paysanne) chaque mercredi, on opte pour le véganisme sept jours sur sept. Selon Geoffrey Pleyers, les jeunes recherchent aussi une expérience, qui peut être éphémère mais aura un impact fort sur l’orientation et les parcours de vie.
« Dans une ZAD ou dans un mouvement comme Nuit debout par exemple, mais aussi dans une association étudiante, explique le sociologue, on est à la fois dans le monde et en dehors. La notion du temps est différente, les relations interpersonnelles changent, la créativité augmente. » Il s’agit à la fois d’être soi-même et de cumuler les expériences pour réussir sa vie. Ces « espaces d’expérimentation » décrits par Geoffrey Pleyers permettent une construction de soi au contact des autres.
Ces espaces se multiplient. Ainsi, à Paris, dix organisations engagées pour la justice climatique et sociale ont décidé de partager « un lieu pour changer le monde ». A deux pas du canal Saint-Martin, dans le 10e arrondissement, La Base occupe, depuis février, les 700 mètres carrés d’un ancien atelier de confection. Vers 16 heures, en ce dimanche de « portes ouvertes », Kristof et Claire, tous les deux en master à Sciences Po Paris, animent une formation à la communication militante pour une dizaine de lycéens et étudiants en grève pour le climat. Au rez-de-chaussée, le brunch à prix libre se termine. A l’étage, un atelier « pancartes » bat son plein ; on se prête la peinture et les idées.
La Base se veut « accélérateur de mobilisation » et a pour ambition de devenir le QG des jeunes embarqués derrière la militante écologiste suédoise Greta Thunberg. Ce lieu éphémère (le bail a été signé pour treize mois) sert aussi de bureau partagé à plusieurs collectifs, dont Pauline Boyer, porte-parole d’Alternatiba et d’Action non violente COP21 (ANV-COP21), fait partie : « Cela fait à peine quelques semaines que nous sommes ici et on se demande déjà comment on a pu faire sans. C’est un point de ralliement formidable pour notre mouvement. » Pharmacienne de formation, âgée de 35 ans – « je suis l’une des plus vieilles des jeunes ! » –, elle travaille depuis bientôt quatre ans pour ce rassemblement citoyen qui organise des « villages des alternatives locales ». « J’ai eu une première vie professionnelle dans l’industrie du médicament, puis j’ai tout plaqué quand j’ai connu Alternatiba, raconte-t-elle. Construire une société plus juste, plus solidaire, plus conviviale, a bien plus de sens que ce que je faisais avant ! »
Lionel Bensemoun est l’un des nouveaux voisins de bureau de Pauline Boyer. Il a fondé Le Consulat il y a trois ans, autre « lieu éphémère et itinérant », émanant de son association GANG (Groupe Action Neo Green).
Son idée ? « A travers le festif et l’artistique, montrer qu’on peut être responsable tout en ayant un discours joyeux et pas moralisateur. » A 46 ans, cet entrepreneur dans l’événementiel s’adresse aux adeptes de la nuit parisienne : « Nous, il y a vingt ans, on était beaucoup moins conscients de ce qui nous attendait. Les jeunes d’aujourd’hui sont bien plus matures dans leur façon de consommer », remarque-t-il.
« Créer une onde de choc »
Aux yeux de Lionel Bensemoun, La Base permet une synergie, voire une convergence des luttes. « Notre puissance, c’est d’avoir réuni tous les outils pour passer à l’action. Alternatiba, par exemple, met en place des réunions de coordination avec une rigueur que nous n’avons pas du tout au Consulat en tant qu’autodidactes. Grâce à eux, on apprend la gouvernance et l’efficacité. Et eux, grâce à nous, trouvent les bons slogans », se félicite celui qui a fédéré divers collectifs pour organiser une « rave pour le climat » le samedi 16 mars pendant La Marche du siècle, à Paris, afin de « créer une onde de choc puissante et taper sur les tympans de [nos] dirigeants ».
Au-delà de la fête et des solutions plus concrètes et locales, grand nombre des jeunes interrogés prônent la désobéissance civile pour faire basculer le système actuel. Ils cherchent à créer un mouvement citoyen massif, radical et non violent. « Il y a effectivement une volonté de changer les choses plus rapidement, décrit la sociologue Valérie Becquet, professeure à l’université de Cergy-Pontoise et codirectrice du laboratoire Ecoles, mutations, apprentissages (EMA). Critiques à l’égard des institutions, les jeunes veulent voir le résultat à court terme et se sentir utiles socialement. » Dans un contexte de défiance et de suspicion vis-à-vis des partis politiques traditionnels, dont les modalités de fonctionnement ne sont plus attrayantes pour eux, ils préfèrent défendre leurs droits eux-mêmes, individuellement ou collectivement.
A Quartier général, le Festival des jeunes engagé.e.s en Europe, organisé le 16 mars à Paris par le réseau d’associations étudiantes Animafac, on a croisé Basile, 22 ans. En année de césure après un bachelor, il est en service civique pour l’antenne parisienne d’I-boycott, une plate-forme participative en ligne qui combat tout à la fois les pratiques fiscales de McDonald’s et la production de plastique par Coca-Cola. « J’ai un petit engagement politique aussi, mais par le bas : l’associatif et les actes de désobéissance. Je ne suis pas partisan. Puisque les gens pensent que les politiques sont tous des pourris, il faut faire front collectivement ! Je ne veux pas rentrer dans le système, je veux le dévier. Prendre la parallèle et montrer aux institutions que nous ne sommes plus une niche, mais un vrai contre-pouvoir. » Né à Marseille, habitant à Montreuil depuis treize ans, il souhaite poursuivre ses études en Scandinavie puis travailler dans le développement durable ou l’agroécologie.
S’engager pour mieux trouver sa voie ? Selon la sociologue Valérie Becquet, il y a toujours une utilité pour soi dans l’engagement : « Ce faisant, les jeunes accumulent de la confiance, des expériences et des compétences qui vont servir leur cursus ou leur carrière. Le tout dans une logique d’émancipation et de construction d’un point de vue sur le monde. »