« J’veux du soleil ! » : acte I du cinéma sur les « gilets jaunes »
« J’veux du soleil ! » : acte I du cinéma sur les « gilets jaunes »
Par Clarisse Fabre
En dépit de témoignages forts, le film de François Ruffin et Gilles Perret laisse perplexe sur le traitement simpliste, voire populiste, des images.
J’veux du soleil !, de François Ruffin et Gilles Perret, est le premier film sur les « gilets jaunes » à sortir en salle, mercredi 3 avril. Cet acte I du cinéma sur le mouvement social né à l’automne 2018 est un objet hybride, entre documentaire militant et feel good movie, pour sa fin joyeuse. Politiquement, le tandem de réalisateurs n’avance pas masqué : François Ruffin est député de La France insoumise (LFI), auteur de Merci patron ! (2016) et fondateur de la revue satirique Fakir. Gilles Perret est un cinéaste engagé sur la question sociale (Les Jours heureux, La Sociale). Au lendemain de la présidentielle, il avait signé L’Insoumis (2018), documentaire sur le candidat Jean-Luc Mélenchon (LFI) qui jusqu’au bout a cru qu’il se qualifierait pour le second tour. La défaite n’en a été que plus rude.
Autant L’Insoumis s’achevait dans le désarroi de l’échec, autant J’veux du soleil ! a la couleur de l’espérance – le titre renvoie à cet ancien tube J’veux du soleil (1992), de Jamel Laroussi (avec le groupe Au p’tit bonheur). Tourné en six jours, en décembre 2018, le film sort en pleine campagne pour l’élection européenne du 26 mai, durant laquelle les voix des contestataires autour des rond-points seront âprement disputées, notamment par les diverses listes de gauche, et par celle du Rassemblement national. Le dispositif est celui d’un road-movie : au volant de sa voiture, François Ruffin explique à Gilles Perret, qui tient la caméra, qu’il veut aller voir si les « gilets jaunes » sont des « fachos » comme certains de ses « amis Facebook » ont pu l’écrire. Le parlementaire trublion discute avec les gens, tandis que Perret immortalise les échanges.
Le film s’attache à montrer que le mouvement des « gilets jaunes » est loin de la caricature qu’en ont brossée le chef de l’Etat, ses proches ministres et certains médias. Dès les premières minutes, des extraits choisis d’Emmanuel Macron – vilipendant « les porte-voix d’une foule haineuse » – et de chroniqueurs – criant au « viol de la démocratie » – nous sont présentés sous la forme d’un zapping, auquel répondent des images plutôt fraternelles de « gilets jaunes ». Effet comique assuré.
Souffrance sociale
Les témoignages font la force du film, plus que ses choix esthétiques. Le mouvement est d’abord l’expression d’une souffrance sociale : c’est le frigo vide comme le ventre qui n’a pas mangé depuis trois jours ; c’est la honte ressentie de demander un repas au Secours populaire… Dans la Somme, une femme au RSA raconte à Ruffin qu’elle survit grâce aux « cartes cadeaux » d’un hypermarché qu’elle gagne au loto « quine », un jeu de hasard avec tirage au sort, souvent organisé dans les salles des fêtes des communes. Ailleurs, un jeune maçon au chômage explique qu’il a peut-être trouvé du travail auprès d’un artisan en venant construire une cabane à un rond-point. J’veux du soleil ! raconte les fraternités qui se nouent dans le pays : en sortant de chez eux, les gens partagent les problèmes qu’autrefois ils préfèreraient taire. La « France des rond-points » est aussi le territoire des entrées de ville, dans sa laideur et sa monotonie, et le film pose la question de l’exclusion esthétique.
Ruffin écoute, fait de l’humour, entre parfois chez les gens. En Ardèche, une femme de 31 ans avoue que ses proches lui tournent le dos, car ils pensent qu’elle veut « enlever Macron pour mettre Le Pen » à la place. Avec son compagnon, dans le salon, elle décrit ses galères au député-reporter, pleure, puis finit par sourire en comparant le mouvement à une porte, avec de la lumière. « C’est du soleil que j’vois derrière, j’vois du jaune », dit-elle.
Derrière sa bonhomie, le film laisse perplexe. Le problème réside dans l’utilisation des images, et leur traitement au chausse-pied. Ainsi, lorsque la caméra se met à zoomer sur le visage de Marie, une artiste montpelliéraine, au moment où celle-ci est sur le point de craquer, la gorge nouée, parce qu’elle ne peut plus acheter de livres à ses enfants pour Noël, on se demande si on n’a pas basculé dans la télé-réalité.
De même, à force d’opposer le peuple et les élites, le film prend des accents populistes : c’est le cas lorsque l’on inflige subitement aux spectateurs des clichés de gens riches (filles dans un yacht, courses de Jet-Ski…) pour dénoncer, sans doute, les inégalités sociales. Dans ces moments-là, Ruffin et Perret adoptent les mêmes codes que ceux qu’ils dénonçaient au début du film : privilégier le simplisme à la complexité, à la manière des clips de campagne, ou des candidats sur les marchés à la veille des scrutins, parce qu’ils n’ont plus le temps. Pressé comme un jus, J’veux du soleil ! n’est pas qu’un film, plus ou moins bon : il bat aussi le rappel des troupes.
Documentaire français de François Ruffin et Gilles Perret (1 h 16). Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/jveux-du-soleil