Le 14 août 2018, l’aéroport international de Berlin Brandebourg Willy Brandt (BER) à Schoenefeld, en Allemagne, présente de nouvelles voitures Volkswagen. / Hannibal Hanschke / REUTERS

La crise, Volkswagen (VW) l’avait vue venir. En mars 2017, lors de la conférence de presse du groupe à Wolfsburg, le PDG d’alors, Matthias Müller, avait laissé entendre que les nouvelles normes d’homologation des véhicules, le fameux cycle WLTP, risquaient de faire courir au groupe des « risques de file d’attente » et de retard de livraisons. Cet avertissement, passé presque inaperçu à l’époque, s’est concrétisé par l’une des plus grosses crises logistiques de l’histoire du géant allemand.

Pour VW, le choc du WLTP peut être considéré comme une réplique du « dieselgate ». La procédure d’homologation a été adoptée pour éviter que ne se reproduise le scandale des moteurs truqués. Mais la nouvelle certification sur route du procédé WLTP supposait des capacités de contrôle de la part des autorités (personnel et sites d’examen). Ce sont elles qui ont manqué, d’autant que le délai donné par l’Union européenne pour mettre en place ces tests était très court : un an seulement. Au 1er septembre 2018, tout nouveau véhicule produit n’était autorisé à circuler que dûment contrôlé selon la nouvelle procédure.

Files d’attente

Chez les constructeurs allemands, ce fut la panique. Des files d’attente se sont formées. Toute l’industrie a été touchée, mais surtout le plus gros constructeur, le groupe Volkswagen. Dès le mois de juin, la production a été ralentie. Pour la marque VW, le défi a viré au casse-tête. En juin, le nombre de véhicules en attente de livraison était tel que la place a vite manqué. Le groupe a alors l’idée de louer les pistes vides de l’aéroport de Berlin-Brandebourg, chantier catastrophique qui aurait dû être achevé en 2011. L’image est saisissante, réunissant deux des plus gros fiascos économiques de l’histoire récente du pays.

Au mois de septembre, les ventes de VW plongent (– 18,3 % au niveau mondial, – 42,6 % en Europe) et mettront du temps à retrouver leur niveau normal. Pour juguler la crise, les marques Volkswagen et Audi renoncent à proposer certains modèles. Au total, le groupe évalue les coûts liés aux problèmes du passage au WLTP à 1 milliard d’euros. « Nous n’avons pas été préparés de façon optimale », a euphémisé Herbert Diess, PDG de VW depuis avril 2018, lors de la conférence de presse du groupe en mars 2019.

Le PIB allemand a reculé de 0,2 % au troisième trimestre 2018, essentiellement à cause du WLTP.

L’automobile a une telle importance en Allemagne que le ralentissement de la production s’est retrouvé dans les statistiques macroéconomiques. L’économie du pays, démarrée solidement début 2018 avec 0,4 % de croissance au premier trimestre, puis 0,5 % au deuxième, a subi pendant l’été un brutal coup de frein. Le PIB a reculé de 0,2 % au troisième trimestre, essentiellement à cause du WLTP. Et au quatrième, le pays a évité d’un fil la récession technique (0 %). En 2018, le PIB allemand n’a progressé que de 1,5 %, après deux années à 2,2 %.

Un changement de paradigme

Tous les sous-traitants doivent réduire leur production, mais aussi les secteurs très dépendants de l’automobile, comme la chimie. A Ludwigshafen (Rhénanie-Palatinat), siège de BASF, le plus grand site chimique du monde, dont 18 % des ventes sont réalisées avec l’automobile, les effets du WLTP se sont ressentis dans les résultats de l’année 2018, avec une baisse du résultat opérationnel de 20 %.

Malgré les protestations de l’industrie et des syndicats, le gouvernement n’a pas cédé sur les questions de renforcement des normes antipollution européennes. Une preuve de l’érosion du crédit de l’automobile auprès des politiques, après plusieurs crises successives liées au diesel. En décembre, la ministre allemande de l’environnement ne s’est pas opposée à l’accord européen de réduction de 37,5 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à leur niveau de 2021. Le Parti social-démocrate (SPD) dont elle est membre, traditionnellement allié à Volkswagen par le biais des puissants représentants des salariés, n’a plus la patience d’autrefois.

« Dans les années 2000, des limites ont été définies au niveau européen. Le chancelier ou la chancelière allemands sont allés à Bruxelles et ont dit : pas de limites trop fortes pour l’industrie automobile, elle ne va pas y arriver. Si on l’avait fait plus tôt, elle aurait commencé à développer des technologies plus respectueuses de l’environnement », s’agace Bernd Westphal, porte-parole du SPD sur les questions industrielles. Chez VW, le choc du WLTP a en tout cas contribué à un changement de paradigme : le spécialiste du moteur à explosion ambitionne de devenir le champion mondial de l’électrique grand public. Il vise la neutralité carbone d’ici à 2050 et veut mettre 22 millions de véhicules électriques sur les routes dans dix ans.