Publicité : comment les algorithmes de Facebook renforcent les stéréotypes
Publicité : comment les algorithmes de Facebook renforcent les stéréotypes
Le réseau, qui permet déjà aux annonceurs de cibler précisément leurs publicités, réserverait automatiquement certaines publicités aux hommes, aux femmes, aux Blancs ou aux Noirs.
Facebook aura davantage tendance à proposer un poste de charpentier à un homme qu’à une femme. / NICOLAS SIX / QUENTIN HUGON / LE MONDE
Femmes, hommes, jeunes, vieux, urbains ou ruraux : la force de Facebook, c’est de permettre aux annonceurs de choisir très précisément à quel public ils s’adressent. Mais selon une étude américaine publiée jeudi 4 avril et cosignée par des chercheurs des universités Northeastern et de Californie du Sud, ainsi que des représentants de l’association Upturn, à ce ciblage volontaire et assumé s’ajoute une discrimination invisible, imposée par les algorithmes du réseau social. Celui-ci choisirait ainsi automatiquement d’adresser certaines publicités tantôt à des hommes, tantôt à des femmes, tantôt à des Blancs, tantôt à des Noirs, et ce indépendamment de la volonté des annonceurs.
Ces chercheurs ont ainsi mené un certain nombre d’expériences, en publiant eux-mêmes certaines offres d’emploi ou des petites annonces pour des logements, et ont identifié deux variables : le contenu mais aussi le budget d’une campagne de publicité ont une influence sur la nature du public chez qui elle va s’afficher. Pour s’en assurer, les chercheurs ont publié une série de messages publicitaires, sans demander à Facebook de l’adresser à une catégorie sociale particulière, mais en jouant seulement avec le texte de l’annonce ou son illustration.
Premier enseignement : les publicités accompagnées de photos comprenant des stéréotypes masculins (jeux vidéo, ballon de football ou militaires) apparaissaient dans 60 % des cas sur les écrans d’utilisateurs hommes. A l’inverse, les photos associées à des stéréotypes féminins (parfum, fleur ou mariage) étaient dans 55 % montrées à des femmes. Ainsi, une même publicité touchait environ 75 % d’hommes quand elle était associée à une image de bodybuilder, et 90 % de femmes quand elle était associée à une image de maquillage. Et ce sans que les chercheurs n’aient spécifiquement demandé à Facebook de viser un public particulier.
Postes de charpentiers pour les Blancs, de caissières pour les Noires
Une sorte de discrimination automatique qui concerne aussi, selon les chercheurs, les utilisateurs de Facebook en fonction de la couleur de leur peau. Pour mener leur étude, les chercheurs ont en effet établi un échantillon d’Américains domiciliés dans l’Etat de Caroline du Nord. Ils ont tenté de déterminer la couleur de leur peau en croisant l’adresse de leur domicile avec les registres des bureaux de vote, qui, contrairement à Facebook, proposent ce genre d’information.
Grâce à cet échantillon, ils ont pu conclure que les offres d’emploi ne sont pas adressées aux mêmes populations selon la profession concernée. Ainsi, parmi les utilisateurs à qui a été proposée une annonce de personnel d’entretien, 65 % étaient des femmes, et 75 % étaient noires. Dans le cas d’une offre pour un poste d’hôte de caisse, la proportion montait à 85 % de femmes, alors qu’à l’inverse, une annonce pour un poste de charpentier était présentée à 90 % à des hommes (blancs dans 70 % des cas).
L’étude nuance toutefois : ce qui est vrai pour son annonce pour un poste de charpentier « n’est peut-être pas vrai pour toutes les annonces pour des postes de charpentiers ». Selon les chercheurs, le budget consacré à une campagne de publicité est aussi un facteur de discrimination. Ainsi, plus le budget consacré à une campagne publicitaire est important, plus ses publicités sont susceptibles d’être vues par des femmes.
Des biais loin d’être anecdotiques selon Wired, qui relaye cette étude : le mensuel américain rappelle que Facebook s’est, par le passé, dédouané de la responsabilité des publicités qu’il affichait sur son site, en expliquant que les annonceurs étaient seuls à décider « où, comment et quand [les] publier ». L’étude publiée jeudi démontre que ce n’est en réalité pas si évident.