Comment l’Etat veut transférer ses cadres sportifs aux fédérations
Comment l’Etat veut transférer ses cadres sportifs aux fédérations
Par Clément Martel
Selon un document de travail du ministère des sports, 50 % des conseillers techniques sportifs (CTS) devront passer, sur la base du volontariat, sous la tutelle des fédérations d’ici à 2025. Au-delà un détachement d’office sera mis en place.
La ministre des sports, Roxana Maracineanu, assure que les « 1 600 cadres techniques, aujourd’hui fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement (...) ne perdront pas leur statut » de fonctionnaire. / LUDOVIC MARIN / AFP
« Il est hors de question de supprimer ces postes. » Interrogée sur France Info, mardi 9 avril, la ministre des sports, Roxana Maracineanu, a, à nouveau, tenté de rassurer les conseillers techniques sportifs (CTS). Depuis la demande de Matignon à son ministère, en septembre 2018, de supprimer 1 600 postes d’ici à 2022 en ciblant ces cadres d’État, spécificité et rouage du modèle sportif français, le monde du sport hexagonal s’inquiète.
Une « lettre blanche » du ministère des sports, que s’est procurée Le Monde, et confirmant des informations du Parisien, dévoile le futur de ces « chevilles ouvrières du sport français », comme ces cadres sportifs sont souvent qualifiés : ils devront passer progressivement, et sur la base du volontariat, sous la tutelle des différentes fédérations d’ici à 2025, leur détachement devenant ensuite obligatoire.
L’équipe de Roxana Maracineanu insiste sur le fait qu’il s’agit là d’un document de travail, non encore approuvé par la ministre, qui fixe des « perspectives de travail » sur « un modèle qui va être réformé ». Mais les grandes lignes de l’évolution souhaitée par le gouvernement, à savoir un désengagement de l’Etat dans le fonctionnement du sport français, sont là. Tour d’horizon de ce qui se prépare.
Quand on parle de CTS, de quoi et de qui s’agit-il ?
Qu’ils soient directeurs techniques nationaux, entraîneurs nationaux ou conseillers techniques nationaux et régionaux, les 1 600 CTS assurent la mise en place des politiques publiques dans le domaine de l’éducation, l’intégration, la lutte contre le dopage, le sport santé, la formation de bénévoles ou l’accessibilité aux handicapés.
Quel est le projet du gouvernement ?
« La réforme que j’engage va vers une plus grande autonomie des fédérations et une plus grande responsabilité des résultats sportifs qu’elles mettent en place, a synthétisé Roxana Maracineanu, mardi. Mais aussi qu’elles soient responsables des plans de développement des politiques sportives. »
« Ces 1 600 cadres techniques, aujourd’hui fonctionnaires d’État mis à disposition des fédérations gratuitement, on a envie qu’ils deviennent des cadres techniques au service des fédérations », a ajouté Mme Maracineanu. Ils « ne perdront pas leur statut » [de fonctionnaire], insiste-t-on au ministère.
Mais, en cessant progressivement d’être payés par l’Etat pour le devenir en majorité par les fédérations, les CTS permettront à la ministre de respecter « l’engagement présidentiel de réduire de 50 000 le nombre d’agents publics sur le périmètre de l’Etat et de ses opérateurs », comme le précisait, à l’été 2018, la lettre de cadrage de Matignon.
Comment le détachement des CTS vers les fédérations va-t-il s’opérer ?
Un « détachement d’office immédiat » de ces agents du ministère vers les fédérations sportives « est écarté au profit d’une mise en œuvre progressive et sur la base du volontariat », précise le document de travail du ministère.
Si la réforme devrait rapidement être lancée, le ministère cible 2025 – après les Jeux olympiques de Paris 2024 – comme date butoir où « le détachement d’office sera mis en place ». Il fixe un chiffre de 50 % des CTS « détachés » dans les fédérations d’ici à 2025.
Un rapport de l’inspection générale de la jeunesse et des sports, remis en novembre 2018 à Roxana Maracineanu, avait recommandé « d’écarter tout scénario de rupture » immédiate, « dans le contexte de la préparation des équipes de France aux JOP [Jeux olympiques et paralympiques] de Tokyo 2020 et de Paris 2024 ».
Fer de lance de la contestation depuis septembre 2018, l’Association des directeurs techniques nationaux (ASDTN) dénonce ce qu’elle qualifie de « campagne de détachements sauvages vers les fédérations sportives ».
Le Syndicat national des activités physiques et sportives (Snaps), s’insurge que « le scénario de démantèlement du service public du sport et de son ministère semble poursuivre sa route en dépit des belles déclarations de la ministre lors de son audition » à l’Assemblée nationale.
Insistant sur la nécessaire « pédagogie autour de la réforme » auprès « d’agents et de présidents de fédérations ne connaissant pas parfaitement la position de détachement », la lettre blanche prévoit des réunions avec le comité olympique (CNOSF) et l’association des DTN avant la formalisation de la réforme.
En parallèle, « une négociation sera menée avec deux ou trois fédérations partenaires qui seraient prêtes à s’engager de manière volontariste dans le projet de réforme », prévoit la lettre blanche.
Les fédérations seront-elles accompagnées financièrement ?
L’ASDTN alerte sur « les dangers et surcoûts évidents de ces détachements » pour les fédérations.
Le projet prévoit que les « fédérations pilotes » pourront bénéficier de « modalités de compensation particulières au moins pour la première période de 5 ans ». Plusieurs candidates se sont fait connaître, selon le ministère, qui, à ce stade, n’en dévoile pas l’identité.
Certaines grosses fédérations sont en mesure d’assumer le poids financier d’une telle réforme et y aspirent, « demandeuses » selon le ministère de « récupérer le lien hiérarchique sur ces agents ».
Récupérer la tutelle des cadres d’Etat est le rêve de certains dirigeants fédéraux, qui deviendraient les uniques patrons de leurs directeurs techniques nationaux et entraîneurs de haut niveau.
D’autres fédérations, de sports moins médiatiques et moins à même d’attirer des sponsors, redoutent de ne pouvoir faire face à ces nouvelles dépenses.
Une compensation « pondérée en fonction de critères d’autonomie financière des fédérations » est prévue par le ministère et sera versée jusqu’en 2025. Le montant de cette aide sera estimé par un cabinet extérieur, afin de « garantir l’objectivité du résultat ».
Que se passera-t-il après 2025 ?
Cette date de péremption attise les critiques. L’ASDTN estime qu’elle marquera la « suppression de l’encadrement public du sport, alors que le détachement des cadres et sa compensation ne seront garantis que cinq ans et qu’ensuite un détachement obligatoire massif sans compensation s’appliquerait. »
« L’idée de la compensation n’est pas qu’elle s’arrête en 2025 », rétorque-t-on au ministère des sports, accusant les DTN d’agiter un chiffon rouge.
Bientôt employés par les fédérations, les futurs ex-CTS se concentreront-ils sur le seul haut niveau ou pourront-ils aussi poursuivre leurs activités moins rentables (en matière d’éducation, santé…) ? Sur ce point, la lettre blanche demeure muette.