« Love, Cecil (Beaton) » : les mille vies d’un photographe et esthète
« Love, Cecil (Beaton) » : les mille vies d’un photographe et esthète
Par Murielle Joudet
Un documentaire donne la mesure du personnage excentrique qui fut aussi illustrateur, chroniqueur, passa de la mode aux images de guerre.
Le photographe Cecil Beaton, un personnage semblant tout droit sorti de l’univers proustien. / STUDIOCANAL
Photographe de mode et de guerre, illustrateur et chroniqueur, décorateur pour le cinéma (My Fair Lady, Gigi) et le théâtre : entre ses mille vies, le Britannique Cecil Beaton, mort en 1980, n’a pas choisi. Mais son regard, lui, est resté le même d’un bout à l’autre de sa carrière : élégant, excentrique, curieux et néanmoins toujours à distance du monde qu’il observait et photographiait. Love, Cecil (Beaton), de Lisa Immordino Vreeland permet de saisir toute l’ampleur de ce personnage semblant tout droit sorti de l’univers proustien, et immense artiste. Archives, témoignages, voix off : si le film semble obéir à la grammaire très conventionnelle du documentaire « à l’américaine », Immordino Vreeland a toutefois la bonne idée de laisser la plus grande place aux œuvres de Beaton. Ainsi Love, Cecil (Beaton) se regarde moins qu’il ne se contemple.
Une exposition en mouvement
Né en 1904 dans une famille très aisée, Cecil Beaton découvre la photographie à l’âge de 12 ans. Il prend pour sujet sa famille avant d’intégrer le petit noyau des Bright Young Things, un groupe de jeunes aristocrates oisifs et hédonistes qu’il photographie dans des mises en scène extravagantes. Déjà tout le style Beaton est là : le cadre est envisagé comme une parenthèse hors monde, un paradis artificiel que le jeune photographe crée avec ce qu’il a sous la main : papier aluminium, tissus, costumes, cellophane, ballons, tulle. Plus tard, même lorsqu’il travaille en temps de guerre pour le ministère de l’information britannique, Beaton parvient à extraire encore des images hyperstylisées qui, loin de masquer la tragédie du sujet, la révèlent.
La véritable pertinence de Love, Cecil (Beaton) est de se penser comme une sorte d’exposition en mouvement. Le plus novice des spectateurs sortira avec la conviction qu’il connaît sur le bout des doigts le travail et la vie de Beaton : de ses amours platoniques à ses erreurs de parcours, jusqu’à ses pensées les plus personnelles, qu’il a livrées dans la longue série de ses journaux intimes aujourd’hui publiés. L’homme traversa le XXe siècle en témoin, autant fasciné par le vieux monde (il devient photographe officiel de la reine Elizabeth II) que par le nouveau (David Hockney, la Factory), par Hollywood que par les conflits mondiaux : sa curiosité insatiable lui permet de survivre à toutes les modes et de traverser tous les mondes avec la même aisance.
De ses portraits de Garbo à sa célèbre photo d’une enfant sur son lit d’hôpital après le Blitz, qui alerta l’opinion de l’époque, le regard de Beaton mêle distance et empathie, vérité et stylisation. Preuve de sa réussite, Love, Cecil (Beaton) nous permet finalement d’accéder à la vérité des grands photographes : en photographiant les autres, Beaton a livré en creux un splendide autoportrait.
Documentaire américain de Lisa Immordino Vreeland (1 h 39). Sur le Web : zeitgeistfilms.com/film/lovececil et 120x160.fr/love-cecil