Peine de mort : l’Afrique subsaharienne devient plus clémente, l’Egypte s’enfonce dans la répression
Peine de mort : l’Afrique subsaharienne devient plus clémente, l’Egypte s’enfonce dans la répression
Par Sandrine Berthaud-Clair
L’organisation de défense des droits humains Amnesty International publie son rapport 2018 sur le recours au châtiment suprême. Zoom sur le continent africain.
La peine de mort continue de reculer dans le monde depuis 2014. C’est la bonne nouvelle du rapport 2018 d’Amnesty International. L’organisation non gouvernementale internationale (ONGI) de défense des droits humains a recensé une baisse de 31 % du nombre d’exécutions par rapport à 2017, c’est-à-dire 690 personnes tuées dans vingt pays au lieu des 993 recensées en 2017, ainsi qu’une légère baisse des condamnations à mort, qui sont passées de 2 591 à 2 531.
Le nombre d’exécutions, le plus faible enregistré par Amnesty International depuis une décennie, ne tient cependant pas compte de la situation de la Chine, « toujours entourée de secret », révèle le document publié mercredi 10 avril, qui estime à plusieurs milliers le nombre de personnes exécutées tous les ans dans ce pays.
Dans ce contexte global positif, l’Afrique progresse. Si on y condamne encore souvent à mort, on y exécute peu. En 2018, 39 % des sentences capitales prononcées dans le monde l’ont été en Afrique, mais 67 condamnations seulement ont été exécutées dans cinq pays, soit moins de 10 % du total mondial. Sur l’ensemble du continent, les condamnations à mort ont chuté de 1 280 à 997 en un an, malgré une augmentation de 78 % en Egypte.
Situation générale du continent
Sur les 55 pays membres de l’Union africaine (UA), 19 ont aboli la peine capitale de leur législation pour tous les crimes. Les derniers Etats à avoir rayé le châtiment suprême de leur code pénal sont le Rwanda en 2007, le Burundi et le Togo en 2009, le Gabon en 2010, la République du Congo et Madagascar en 2015, le Bénin en 2016 et la Guinée en 2017.
En outre, 17 pays sont considérés comme abolitionnistes « en pratique » pour n’avoir exécuté aucun condamné à mort depuis au moins dix ans. Ce qui n’empêche pas ces pays de prononcer des condamnations à mort tous les ans, comme l’Algérie (1 en 2018), le Maroc (10), la Tunisie (12), la Mauritanie (3), la Sierra Leone (4), la Tanzanie (4) et la Zambie (21).
Sont considérés comme pays non abolitionnistes les Etats et territoires qui prescrivent le châtiment suprême pour des crimes de droit commun. Ils sont encore 15 sur le continent, dont l’Egypte.
L’Afrique du Nord, entre statu quo et régression
La situation qui prévaut en Egypte, où condamnations et exécutions sont en progression depuis deux ans, et dans les pays du Maghreb coupe le continent en deux. En Afrique du Nord, 785 condamnations à mort ont été prononcées dans cinq pays et 43 personnes ont été exécutées, exclusivement en Egypte, soit près des deux tiers des personnes exécutées sur tout le continent.
Certes le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye n’exécutent plus leurs condamnés à mort, mais ces Etats ne sont pas pour autant engagés dans un processus abolitionniste.
Quant à l’Egypte d’Abdel Fattah Al-Sissi, les procès de masse où les droits fondamentaux sont bafoués continuent. A lui seul, le pays a condamné à mort 717 personnes l’année dernière, détaille le rapport :
« Depuis 2014, sous l’administration du président Sissi, les tribunaux de droit commun et militaires égyptiens ont prononcé au moins 2 000 peines capitales, généralement liées à des violences politiques, à l’issue de procès iniques se fondant souvent sur des “aveux” obtenus sous la torture et sur des enquêtes de police biaisées. »
Des chiffres probablement sous-estimés par manque de données statistiques fiables, prévient Amnesty International.
L’Afrique subsaharienne toujours plus clémente
Au sud de la bande sahélo-saharienne, le nombre de condamnations a fortement diminué, passant de 878 à 212 entre 2017 et 2018, notamment grâce à la diminution des peines capitales confirmées au Nigeria. L’année dernière, quatre pays subsahariens ont exécuté 24 personnes, contre 28 en 2017 : 13 en Somalie, 7 au Soudan du Sud, 2 au Soudan, 2 au Botswana.
« Pratiquement tous les ans, on a des pays subsahariens qui sautent le pas et décrètent un moratoire », explique Anne Denis, d’Amnesty International. C’est aussi le résultat du patient travail de plaidoyer de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples de l’UA qui tente de convaincre les Etats, d’une part, de ne pas exécuter leurs condamnés à mort et, d’autre part, d’instaurer un moratoire pour se donner les moyens d’un débat national sur la question.
C’est ainsi que le Botswana, où deux hommes ont été condamnés à mort pour homicide en 2018, a accepté l’invitation de la commission ad hoc de l’UA d’étudier la possibilité de réformer sa législation pour en bannir la peine capitale. Des consultations publiques devraient être lancées en 2019 dans ce sens.
Le Kenya, qui a condamné au moins 12 personnes au châtiment suprême sans en avoir exécuté aucune, a formé en 2018 un comité spécial chargé de revoir le cadre législatif dans un sens plus clément, sans toutefois vouloir renoncer complètement à la peine capitale.
La Gambie, elle, a décidé de sauter le pas. Le président, Adama Barrow, a commencé l’année 2018 en décrétant en février un moratoire officiel sur les exécutions et l’a terminée en ratifiant en septembre le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort. Comme le décrypte Anne Denis :
« Quand on ratifie le protocole, on ne peut plus le dénoncer sans se mettre en infraction avec le droit international. La Gambie est donc clairement engagée sur la voie de l’abolitionnisme, même si une condamnation à mort a été prononcée en 2018. »
Le Bénin, qui avait renoncé à la peine capitale pour tous les crimes en 2016, a poursuivi son effort. L’Assemblée nationale a adopté en juin 2018 un nouveau code pénal bannissant le châtiment suprême, promulgué le 28 décembre. Par ailleurs, le gouvernement béninois a sorti du couloir de la mort les 14 derniers condamnés détenus depuis au moins dix-huit ans « dans des conditions lamentables », précise le rapport, et a commué leur peine en réclusion à perpétuité.
La Guinée, qui a aboli la peine de mort pour tous les crimes en 2017, doit encore fermer son quartier des condamnés, où 8 personnes croupissent toujours, selon les informations d’Amnesty International.
Enfin, le Burkina Faso a supprimé la peine capitale de son code pénal en juin 2018, la conservant pour les tribunaux militaires, mais a annoncé la tenue d’un référendum en 2019 sur une nouvelle Constitution qui contiendra une disposition en faveur de l’abolition totale.
Des pays qui inquiètent
Avec plus de 2 000 condamnés à mort, dont au moins 46 l’ont été en 2018, le Nigeria a « le plus long couloir de la mort » d’Afrique subsaharienne, selon l’expression d’Amnesty International. L’Etat nigérian, à l’instar de la Zambie, a refusé de communiquer ses données officielles. Cependant, la Constitution permet aux gouverneurs de cette fédération de commuer les peines capitales en emprisonnement. Dans les Etats du Delta, d’Ondo et d’Osun, les gouverneurs, ouvertement abolitionnistes, ont donc choisi de commuer 35 peines capitales en emprisonnement et de gracier 16 condamnés.
Si aucune exécution n’a été recensée en 2018 en Mauritanie, le pays inquiète. En avril, le Parlement a adopté un article du code pénal qui empêche non seulement de commuer une condamnation à mort, mais la rend « obligatoire » en cas « propos blasphématoires » et d’« actes sacrilèges ».
Enfin, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud ont tous trois exécuté des condamnés, mais leurs situations sont hétérogènes. La Somalie a « progressé », avec 13 exécutions en 2018 au lieu de 24 en 2017. Le Soudan, qui n’avait pas appliqué de peine capitale depuis 2016, a pendu deux condamnés tandis que le Soudan du Sud, exécutant 7 condamnés, n’avait jamais atteint un chiffre aussi élevé depuis son accession à l’indépendance en 2011.