Ouverture de la chasse dans la Sarthe, en septembre 2018. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Les chasseurs, on le sait, ont l’oreille des sénateurs, qui se veulent les défenseurs de la ruralité. Une nouvelle preuve a été donnée, mercredi 10 et jeudi 11 avril, lors de l’examen du projet de loi visant à créer, au 1er janvier 2020, l’Office français de la biodiversité (OFB) : un établissement public unique de gestion et de protection de la nature, fusionnant les missions actuelles de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et de l’Agence française pour la biodiversité.

Le 24 janvier, en première lecture, les députés avaient adopté ce texte à la quasi-unanimité. Il s’agissait, s’était alors félicité le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, de donner naissance à « un grand opérateur de la biodiversité » pour « améliorer, partout dans nos territoires, la préservation des espèces et des milieux naturels ».

Or, au Sénat, le projet de loi a été profondément remanié, à l’avantage des chasseurs. On a entendu des élus défendre bec et ongles le monde cynégétique, se livrer à un vibrant plaidoyer en faveur d’une activité « populaire », ou encore se lever pour « la liberté de chasser ». Le texte a été adopté par 235 voix pour et 94 abstentions, celles-ci étant enregistrées principalement au sein du Groupe socialiste et républicain et du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste.

Le projet entérine l’extension de la saison de chasse des oies sauvages, qui fait pourtant l’objet d’une plainte contre la France.

La décision la plus symbolique est le changement de dénomination de l’OFB, rebaptisé « Office français de la biodiversité et de la chasse ». Cela, contre l’avis d’Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, qui a vainement fait valoir que la chasse faisant « partie intégrante de la biodiversité », une appellation « inclusive » était préférable. Pour enfoncer le clou, les sénateurs ont ajouté aux missions du nouvel établissement la « contribution à l’exercice de la chasse et de la pêche en eau douce durables ».

Ce n’est pas tout. La période de tir aux oiseaux migrateurs pourra être prolongée par dérogation au-delà de la période légale, à condition que soit assuré le « maintien dans un bon état de conservation des populations migratrices concernées ». Ce qui entérine, par exemple, l’extension de la saison de chasse des oies sauvages, qui fait pourtant l’objet d’une plainte déposée par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) contre la France, auprès de la Commission européenne.

Les modes de chasse traditionnels considérés « patrimoine national »

Pour faire bonne mesure, les modes de chasse dits traditionnels, tels que le piégeage des grives à la glu ou la capture d’oiseaux à l’aide de filets ou de collets, sont considérés comme faisant partie du « patrimoine cynégétique national ». A ce titre, ils sont « reconnus et protégés ». En outre, les fédérations de chasseurs pourront gérer elles-mêmes les réserves nationales de chasse et de faune sauvage, dont la vocation première est de protéger les espèces menacées et leurs habitats.

Quant aux citoyens qui s’aviseraient d’« empêcher, entraver ou gêner l’acte de chasse ou le déroulement d’une action de chasse en cours », ils seront à l’avenir passible d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

En retour, toutefois, les sénateurs ont voulu « renforcer la sécurité à la chasse », en élargissant les possibilités de retrait du permis en cas d’« incident matériel grave ayant pu mettre en danger la vie d’autrui ».

« Cadeaux scandaleux faits au monde de la chasse »

Le directeur général de la LPO, Yves Vérilhac, s’indigne de « cadeaux scandaleux faits au monde de la chasse ». Il s’indigne aussi de l’engagement de l’Etat, dans le projet de loi, à verser aux fédérations de chasseurs au moins dix euros par an et par permis de chasse, en complément des cinq euros qui seront acquittés par chaque chasseur, au profit d’un fonds consacré à la protection de la biodiversité. Ce qui revient en réalité, à ses yeux, à « faire payer chaque Français pour la chasse ».

Des « cadeaux » qui s’ajoutent à celui déjà fait l’an passé par Emmanuel Macron aux porteurs de fusil – la division par deux, de 400 à 200 euros, du prix du permis national –, en contrepartie de leur ralliement à l’Office français de la biodiversité.

La partie n’est toutefois pas terminée. Présenté en procédure accélérée, avec une seule lecture par chambre parlementaire, le projet de loi doit maintenant être examiné par une commission mixte paritaire de députés et de sénateurs. Si celle-ci ne parvient pas à trouver de compromis, le texte reviendra en lecture finale à l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot. Reste à savoir si, à la veille des élections européennes, la biodiversité l’emportera sur la chasse au sein de la majorité gouvernementale.