Journée « écoles mortes » : c’est le mode d’action choisi jeudi 11 avril par le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire au primaire, pour protester contre le projet de loi « pour une école de la confiance ». Le principe : pas d’enseignants en grève, mais des parents appelés à ne pas déposer leurs enfants en classe. Et l’appel a porté, semble-t-il : entre 50 % et 90 % d’enfants ont été comptabilisés comme absents, ce jeudi, dans les écoles parisiennes concernées par le dispositif, selon les calculs syndicaux. Le rectorat de l’académie de Paris avance, lui, d’autres chiffres : il n’a recensé qu’une seule école « 100 % gréviste » et quatorze écoles annoncées comme « mortes » mais où une « proportion d’élèves » était toujours bien présente. Le mouvement concerne principalement les 18e, 19e et 20e arrondissements, mais dans les 13e et 14e arrondissements la mobilisation se déploie aussi, et d’autres écoles appellent à s’y associer ces prochains jours.

Parmi les points de crispation, les regroupements écoles-collèges rendus possibles par l’article 6 du projet de loi Blanquer sous le nom d’« établissements publics des savoirs fondamentaux ». Ceux-ci menaceraient, selon les enseignants mobilisés, le devenir des directeurs et le fonctionnement des écoles. L’article 1, qui cite « l’exemplarité » du personnel éducatif, pose aussi question. Plus généralement, la communauté éducative pointe les « larges zones de flou » dans le texte de loi. « Même chez les professeurs, on ne voit pas vraiment où le ministre veut en venir », raconte Isabelle, directrice d’une école du 11arrondissement.

D’autres motifs de mécontentement se sont accumulés au fil de l’année. « Cela a commencé avec la mise en place des évaluations des CP-CE1 à la rentrée, explique Anne, professeure en CE2 dans une école de l’est de la capitale. C’était anxiogène pour les petits et notre travail n’était pas du tout considéré. » Les annonces des fermetures de classes dans la capitale (elles seraient 49, selon l’UNSA-Education) ont accru les tensions. L’adoption en première lecture du projet de loi Blanquer, le 19 février, à l’Assemblée, les a exacerbées.

Paris, un « terreau favorable »

A Paris, les enseignants savent se faire entendre : ils étaient 6 500 professeurs à battre le pavé le 30 mars. Le 4 avril, le rectorat a décompté 37 % de grévistes, quand la moyenne nationale plafonnait à 15 % d’enseignants en grève, selon le ministère de l’éducation. Une nouvelle journée de mobilisation est prévue le 18 avril.

En attendant se tiennent dans beaucoup d’écoles des réunions d’information à destination des parents. Lundi 8 avril, une dizaine de parents s’étaient rassemblés devant une école de l’est de la capitale à l’invitation des professeurs. « On pourrait se rendre au Sénat, écrire des lettres ? », proposait l’un ; « Il faut utiliser les réseaux sociaux pour gagner de la visibilité », déclarait un autre. Banderoles, bureaux de directeur occupés, « nuits des écoles » ou pique-niques : des événements s’organisent chaque jour de la semaine dans différents lieux de Paris.

Pourquoi a-t-on le sentiment que la mobilisation prend plus d’ampleur à Paris qu’ailleurs ? Avec ses 653 écoles publiques, la capitale offre une proximité géographique entre les acteurs de l’éducation qui constitue un « terreau favorable », comme disent les experts. La fronde contre la réforme des rythmes scolaires, à son plus haut niveau en 2013-2014, a laissé des traces. Par ailleurs, le fonctionnement de la direction d’école y est différent. « Les directeurs parisiens sont plus disponibles car déchargés d’enseignement à partir de cinq classes, alors que c’est à partir de treize dans le reste du territoire », rappelle Patrick Bloche, adjoint chargé de l’éducation à la mairie de Paris.

« Ce sont les interlocuteurs privilégiés des familles, rappelle aussi Laurent Frajerman, chercheur à l’institut de la FSU, et ils forment un relais très fort dans le syndicalisme du premier degré. »

Devant une commission du Sénat, mardi 9 avril, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a assuré « être ouvert à une évolution des propositions pour retrouver l’esprit de la confiance », lors du passage du texte au Sénat, mi-mai. Dans les écoles mobilisées, on espère que le mouvement ne s’essoufflera pas avant. « Ce qui serait intéressant, ce serait d’avoir un relais fort en province, une fois les vacances scolaires passées », fait observer Pierre, professeur dans un établissement classé en réseau d’éducation prioritaire parisien.