Imaginez si dans « Eyes Wide Shut », les membres de la secte avaient porté ces masques. / Nintendo

« Ah mais c’est comme dans Pif Gadget votre truc. J’avais les mêmes lunettes 3D quand j’étais môme », ricane Baeckeoffe* d’un air débonnaire. Il en faut beaucoup plus que ça pour impressionner beau-papa : des binocles pour donner un effet de profondeur, on ne la lui fait pas, hein, les siennes étaient rouge d’un côté verte de l’autre. C’était le bon temps.

A sa décharge, le Kit VR Nintendo Labo, sorti vendredi 11 avril sur Switch, entretient un certain doute sur la nouveauté de son concept. A l’intérieur, selon le modèle choisi, un ou cinq jouets en carton à construire soi-même, comme la première génération sortie il y a un an, avant d’y glisser deux grandes lunettes de réalité virtuelle (fournies avec), puis d’y enficher la console Nintendo Switch (fournie séparément).

Cette fois, certaines constructions ont des formes d’appareil photo, d’éventail, d’oiseau et même de tête d’éléphant. Alors, oui, fatalement, on se sent plus au rayon farce et attrapes de JouéClub que dans le stand réalité virtuelle de la Fnac. Mais c’est ce qui fait son charme.

Nintendo Labo : kit VR - bande-annonce de lancement
Durée : 07:15

Entre réalité virtuelle, origami et carnaval

« Wow, je vole… Oh, j’ai attrapé des pommes ! », se pâme notre cobaye, Flammekueche, 7 ans et demi. Soyez rassurés. Nintendo Labo Kit VR est un jeu qui ne coupera pas votre progéniture de ses cinq sens, puisque dès sa riche phase d’assemblage il se frottera au toucher râpeux des diverses constructions. Puis casque de VR sur le nez, il lui arrivera peut-être de s’exclamer, comme Flammekueche en plein milieu d’un vol onirique à dos d’oiseau, que quand même, les nuages, ça a une drôle d’odeur de carton. Voilà au moins une expérience de réalité virtuelle ancrée dans le concret.

Ancrer autant la réalité virtuelle dans une expérience ludique, palpable et conviviale, c’est l’indubitable réussite de ce jeu. Là où la plupart des casques de réalité virtuelle donnent à son utilisateur un air de cyborg perché dans un monde lointain, prêt à se prendre une porte ou renverser un verre en croyant estropier un lombric extraterrestre, Nintendo Labo convoque davantage l’imaginaire du carnaval. On est oiseau, éléphant, appareil photo ; le casque est tout autant un masque, et ce qu’il dissimule, il en donne l’indice visuel autour de lui.

Un casque de réalité virtuelle, ça trompe énormément. / Nintendo

La force de cette expérience, c’est également de transformer toute la lourdeur habituelle du dispositif de réalité virtuelle en fête enfantine. On se souvient ici du déballage pénible du PS VR, le modèle de la PlayStation, et de ces câbles envahissants qui venaient compliquer une installation déjà lourdingue. Ici, le procédé est plus long encore, mais l’installation est un jeu de montage, qui convoque l’imaginaire des Lego autant qu’il surprend par sa malice. Il y a une forme d’émerveillement enfantin à voir quatre planches de carton faites de formes sibyllines s’agencer étape par étape en cylindres intrigants, avant de prendre miraculeusement la forme d’un bazooka, d’un pachyderme. Ou la rencontre improbable entre la réalité virtuelle et les origamis.

Quelques purs moments d’apesanteur

Il faut ici dire aux parents soucieux que les consignes sont claires, et que Pixels peut en attester : un enfant de 7 ans peut monter lui-même un des jouets de carton, sous le regard bienveillant d’un adulte, mais sans avoir à interrompre ce dernier durant son apéritif entre amis. Quant à la durée d’assemblage, comptez environ une bouteille de Prosecco avant d’avoir à tendre au chérubin le prochain gadget à monter. Lorsqu’il s’écrit « regarde, regarde, mon robot il joue au foot », c’est qu’il est passé au stade de jeu proprement dit. « Tu veux essayer ? », s’enquiert Flammekueche. Ok.

Le nez dans le carton, mais la tête dans les nuages. / Nintendo

Il y a une forme de magie, au moment où l’on enfile l’un de ces périphériques étranges pour découvrir des interactions qui semblent tenir du miracle. Comme ce moulin à vent, dans lequel on peut souffler – en vrai – pour propulser des billes par la bouche dans le monde virtuel. Ou ce piaf que l’on pose sur son pif, et qui se met à battre des ailes dans la fiction, quand l’on tire vers le bas ses ailerons de carton.

En jeu, lorsque le casque de carton déploie son pouvoir d’occlusion sur nos yeux, difficile de ne pas ressentir un moment d’apesanteur émerveillée. Bien souvent, les expériences de réalité virtuelle sonnent étrangement fausses parce qu’elles sont entièrement pensées pour l’ouïe et la vue, et donnent au joueur l’impression malaisante d’avoir perdu toute sa corporalité ; Nintendo réussit l’exploit inverse, celui d’insuffler du souffle et du palpable dans un univers de fiction. Derrière ces tours de prestidigitations, la ruse des développeurs qui jouent des caméras infrarouges, de stickers réfléchissants ou encore des gyroscopes de la manette glissée dans le jouet fraîchement construit.

Arrière-goût de carton

Malheureusement, la lune de pixels ne dure pas forcément longtemps, car une fois n’est pas coutume pour le constructeur japonais, sa proposition vidéoludique est un peu pauvrette. On y cherchera en vain l’ingéniosité conceptuelle d’un Superhot VR, l’immersion d’un Batman : Arkham VR, l’excitation à plusieurs de The Playroom VR, ou l’intensité d’un Thumper, classiques de la réalité virtuelle.

A la place, on se satisfera d’exercices ludiques minimalistes : diriger un androïde dans un parcours d’obstacles, prendre en photo des poissons, réaliser un circuit flottant pour amener une bille jusqu’à un cercle, cuisiner, jeter une balle vers une cible, ou se la renvoyer avec un robot. Le tout dans un monde essentiellement cubique, abstrait, et à la résolution d’image plutôt bas de gamme.

Nintendo Labo Kit VR propose plusieurs dizaines de minijeux en VR (enfant vendu séparément). / Nintendo

Pas de quoi dépiter Flammekueche, qu’il a fallu arracher de force à son masque d’éléphant et son minijeu de football avec un ballon explosif. Baeckeoffe, lui, s’y est essayé trente secondes avant de s’en désintéresser, tantôt que Spaetzle, le papa, n’a pas réussi à jouer plus de cinq minutes, la faute à d’immédiates nausées – alors que les épreuves sont pourtant très statiques. Mais Nintendo Labo Kit VR est un dispositif de réalité virtuelle, et il n’échappe pas aux traditionnels problèmes d’inconfort que ceux-ci suscitent. Non sans y ajouter son petit défaut maison : on aura beau retourner le problème dans tous les sens, le carton, ça n’a pas le plus inoubliable des parfums. Même si maintenant, on sait que c’est à ça que ressemble l’odeur des nuages.

En bref

On a aimé :

  • La partie construction bien expliquée, ludique et maline.
  • Quelques purs moments d’apesanteur.
  • Plein de minijeux différents, et la possibilité de créer les siens.
  • On peut aussi désactiver l’affichage VR et jouer sans casque.

On n’a pas aimé :

  • La forte odeur de carton, qui nous a un peu gâché le Prosecco.
  • On se lasse très vite des minijeux.
  • Encombrant et gourmand en batterie.

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez 7 ans, et aimez découvrir des expériences rigolotes.
  • Vous avez 37 ans, et aimez découvrir des expériences rigolotes.

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous êtes de corvée d’aspirateur.
  • Vous avez facilement la nausée.

La note de Pixels :

56 plis, 8 pixels et un élastique perdu/10.

(*A la demande des personnes, les prénoms ont été remplacés par des spécialités alsaciennes.)