Législatives au Bénin : une « grave atteinte à la démocratie » pour l’opposition
Législatives au Bénin : une « grave atteinte à la démocratie » pour l’opposition
Le Monde.fr avec AFP
Seuls deux partis apparentés au pouvoir en place ont été autorisés par la Commission électorale nationale autonome à présenter leurs listes.
Marche de protestation pacifique organisée par les partis d’opposition à Cotonou le 11 mars 2019, pour dénoncer leur exclusion des élections législatives du 28 avril. / YANICK FOLLY / AFP
Le 28 avril, les Béninois éliront leurs députés. Mais le pays d’Afrique de l’Ouest, considéré depuis 1990 comme un modèle de démocratie sur le continent, traverse une crise politique inquiétante : pour la première fois depuis trente ans, l’opposition ne participera pas au scrutin. Sur les sept partis politiques engagés dans la course aux législatives, seuls deux partis apparentés au pouvoir en place ont finalement été autorisés par la Commission électorale nationale autonome (CENA) à présenter leurs listes. Aucun de l’opposition.
« C’est la première fois que les partis politiques de l’opposition ne participeront pas aux législatives, depuis l’ère du renouveau démocratique en 1991 » après des décennies de régime communiste sous Mathieu Kérékou, rappelle Steve Kpoton, juriste et analyste politique. Il y a cinq ans, pour le même scrutin, vingt listes avaient été présentées aux électeurs pour choisir les 83 députés du Parlement.
Mais, cette année, le Parlement a voté un nouveau code électoral et une nouvelle charte politique sur une proposition des députés du parti au pouvoir. Leur mise en application a écarté la participation des partis de l’opposition, qui n’ont pas réussi à remplir tous les documents administratifs à temps.
« Plus de 250 partis politiques »
« Le Bénin ne permettra pas que l’on désigne 83 députés privés du chef de l’Etat au Parlement », s’est aussitôt indigné Eric Houndété, vice-président du Parlement, un des leaders de la coalition politique opposée au régime en place. Mais l’opposition n’a pas été autorisée à manifester et les mouvements de protestation ont été empêchés par les forces de l’ordre.
Le président Patrice Talon, élu en avril 2016, a appelé au calme dans une émission télévisée diffusée début avril et retransmise sur les réseaux sociaux pour marquer le lancement de la campagne électorale. « J’ai noté qu’au Bénin, il y a plus de 250 partis politiques. Chacun de ces partis regroupe des dizaines de mouvements politiques, des leaders politiques », a regretté le chef de l’Etat, justifiant ainsi la réforme du code électoral.
Patrice Talon souhaiterait voir « une troisième et une quatrième force politique » au Bénin, de l’envergure des deux partis issus de son camp, en lice pour les élections législatives : le Bloc républicain et de l’Union progressiste. « Je suis pragmatique, je suis quelqu’un de réaliste et je suis quelqu’un qui avance malgré les difficultés, s’est félicité le président. Mais à l’impossible, je ne suis pas tenu. Et à l’impossible, je ne veux tenir personne. »
« Un Parlement aux ordres »
Pour la société civile, le nouveau code électoral marque pourtant un important « recul démocratique ». « Une élection ne peut être démocratique que lorsqu’elle met en compétition des forces politiques favorables au pouvoir et les forces politiques opposées au pouvoir », s’est insurgé Social Watch Bénin, dans un communiqué. Cet important regroupement d’organisations de la société civile, très actif dans le pays, a ainsi décidé de « suspendre sa participation aux activités […] liées aux élections législatives dans les conditions actuelles ».
D’autres organisations comme SOS élections crédibles ont pris la même résolution. « La société civile ne peut pas cautionner cette grave atteinte à la démocratie », a confié à l’AFP, Hubert Acakpo, le président de cette organisation, qui a décidé de n’envoyer « aucun observateur sur le terrain pour superviser cette élection ».
Sans attendre l’issue du vote, certains observateurs s’inquiètent déjà de la composition de la prochaine Assemblée nationale du Bénin. Interrogé par l’AFP, le politologue Steve Kpoton craint « un Parlement exclusivement et totalement aux ordres pour pouvoir réviser la Constitution et s’éterniser » à la tête de l’Etat.
Corneille Nonhêmi, jeune militant, souhaitait se présenter comme candidat pour l’Union sociale libérale (USL), le parti de Sébastien Ajavon, un opposant actuellement en exil en France, poursuivi pour une obscure affaire de trafic de cocaïne. Lui aussi est certain que « le plan de Talon est de réviser la Constitution à sa guise ». Pour ce jeune employé d’une multinationale, « cette situation inédite vise à supprimer toutes possibilités de faire barrage au président Talon et à son gouvernement ».