« After », de la fanfiction au bestseller de la littérature romance
« After », de la fanfiction au bestseller de la littérature romance
Par Pauline Croquet
Avant de devenir une saga littéraire écoulée à plusieurs millions d’exemplaires et un film, en salles mercredi, ce roman érotico-romantique était un récit de fan du groupe One Direction.
Elle n’avait jamais été publiée qu’elle avait déjà été saluée par 12 millions de lecteurs et avait accumulé plus d’un milliard de vues sur une plate-forme d’écriture amatrice, Wattpad. Anna Todd est aujourd’hui une romancière extrêmement populaire, notamment en France où elle a vendu plus de 5 millions de livres. Cinq ans après sa publication, son premier roman érotico-romantique – le plus connu – After, est adapté sur grand écran mercredi 17 avril avec Josephine Langford et Hero Fiennes Tiffin.
After met en scène sur cinq tomes l’histoire d’amour et de sexe entre une jeune étudiante, Tessa Young, et son camarade de fac, Hardin Scott, un bad boy britannique secret et colérique. Entre la version en ligne et celle de papier, le nom du protagoniste a changé : initialement, Hardin n’était autre que Harry Styles, l’un des chanteurs du boys band britannique One Direction, formé entre 2010 et 2016. Les autres membres du groupe, qui figuraient également au casting du roman-feuilleton sur Wattpad, ont été aussi rebaptisés. After est en effet l’une des fanfictions les plus célèbres, parmi les dizaines de milliers qui ont été écrites sur les interprètes des tubes What makes you beautiful ou Drag me down.
AFTER, CHAPITRE 1 - Bande-annonce VOST
Durée : 01:45
C’est d’abord comme lectrice et fan qu’Anna Todd s’inscrit sur la plate-forme Wattpad, sous le nom @imaginator1D en janvier 2013. Originaire d’une famille modeste de l’Ohio, la jeune femme s’est mariée juste après le bac avec un camarade de lycée. L’écrivaine appartient à la génération des fanfictions, des internautes qui imaginent des histoires dérivées de leurs fictions ou personnalités préférées sur le Web. C’est lors de la mutation de son mari militaire sur une base au Texas qu’elle décide elle aussi de prendre la plume – ou plutôt son clavier – l’année suivante. A raison d’un court chapitre délivré par jour à ses lecteurs, l’autrice écrit environ cinq heures par jour uniquement sur son smartphone et en passe plusieurs à répondre à ses lecteurs.
Anna Todd vient de fêter ses 30 ans. En à peine un an et demi, sa saga « After » a fait sa renommée. / Valorie Darling
Ecrit entièrement sur smartphone
« Ça a submergé ma vie quotidienne, le jour et la nuit. J’étais en permanence sur mon téléphone, j’y passais vraiment tout mon temps », explique-t-elle à Libération en janvier 2015, lors de la sortie de son premier roman en France. « J’ai déjà écrit chez le dentiste… je crois que c’est l’endroit le plus bizarre où j’ai écrit ! Mais aussi chez l’épicier, au driving… Avec Wattpad, sur le téléphone, on peut juste taper, poster, et c’est fait ! », raconte-t-elle un an plus tôt au magazine people Public.
De la détestation à la passion érotique dévorante, le premier volume, d’une centaine de chapitres, sur lequel se fonde aujourd’hui le film, raconte les multiples disputes, étreintes et rebondissements entre l’héroïne, une jeune vierge qui ne jure que par ses études, et son amant, décrit tantôt comme étalon expérimenté, tantôt comme un agnelet désorienté. Un registre souvent qualifié de « Mommy porn » et critiqué pour les nombreux clichés qu’il véhicule. D’autres fans de One Direction – les directioners – l’accusaient de tirer avantage de l’énorme célébrité du boys band, rappelait en 2015 Rue 89, et de perpétuer une mauvaise image de Harry Styles, « de sale mec ivrogne ». Ce dernier mène depuis une carrière solo et a figuré au casting du film Dunkerque de Christopher Nolan.
Harry Styles - Sign of the Times (Video)
Durée : 05:42
Mais le roman est aussi défendu par ses amateurs comme un parcours initiatique féminin sur le chemin de l’indépendance et de la sexualité. A propos des multiples scènes érotiques, étoffées dans la version papier, l’autrice explique lors d’un festival à Bandol en 2017 :
« J’écrivais juste pour le fun mais je pense que c’est important, surtout pour les femmes, de pouvoir parler de sexe et d’aimer le sexe. Souvent, personne ne voit d’inconvénient à ce que les hommes aiment le sexe, mais quand il s’agit d’une femme c’est bizarre et tabou. Je ne trouve pas ça juste et j’espère que oui, [mes romans] aideront les gens à se libérer de leurs complexes ».
Dans le sillage de « Cinquante nuances de Grey »
L’éditeur américain Simon & Schuster s’intéresse à son feuilleton huit mois après ses débuts, en 2014, espérant peut-être réaliser une belle opération comme celle de l’éditeur d’une autre fanfiction, Cinquante nuances de Grey. Une œuvre librement adaptée de la saga Twilight et à laquelle After est souvent comparée. Anna Todd expliquait toutefois à Libération s’être bien plus inspirée de schémas classiques de la littérature romantique. « Mon intrigue est vraiment modelée sur celle des Hauts de Hurlevent. C’est la même structure de relation amoureuse à intermittence, presque toxique. Mes personnages sont des étudiants en littérature, et ils se réfèrent sans cesse aux classiques pour comprendre leur vie quotidienne. »
Le pari éditorial est réussi. Anna Todd reçoit une somme tenue secrète mais « à six chiffres » pour son travail. Bien que les chapitres restent disponibles gratuitement en ligne sur la plate-forme d’écriture, After décolle rapidement dans les ventes et de façon soutenue. Le premier roman s’est par exemple vendu à près de 1,4 million d’exemplaires en France.
Le succès populaire d’After se mesure non seulement à ce qu’il a contribué à réinstaller la littérature sentimentale et érotique dans les meilleures ventes littéraires, mais aussi à ses fanclubs. Comble de la fanfiction réussie : générer à son tour des centaines de fanfictions et de discussions en ligne. De son côté, Anna Todd, qui vient de fêter ses 30 ans, a signé son dixième livre et deux séries de romans dérivés d’After.