Notre-Dame de Paris : les dons par les grandes fortunes françaises font polémique
Notre-Dame de Paris : les dons par les grandes fortunes françaises font polémique
Le Monde.fr avec AFP et Reuters
Depuis mardi, des voix s’élèvent pour critiquer les grands donateurs, accusés de faire une surenchère de communication pour sauver la cathédrale sans se soucier de l’urgence sociale.
L’incendie de Notre-Dame provoque un élan de solidarité sans précédent et les promesses de dons affluent pour rebâtir le monument, atteignant au moins 800 millions d’euros. La barre du milliard devrait être facilement franchie. / - / AFP
Trop c’est trop ? Dans une intervention télévisée, mardi 16 avril, Emmanuel Macron a dit souhaiter que Notre-Dame de Paris soit reconstruite d’ici à cinq ans. Face à ce chantier qui s’annonce colossal, les contributions affluent.
Des milliers d’anonymes répondent à la souscription nationale lancée par la Fondation du patrimoine, donnent aux cagnottes qui ont été ouvertes, plusieurs grandes fortunes françaises et des grandes entreprises en France et à l’étranger sortent leur carnet de chèques depuis lundi, tandis que la mairie de Paris envisage une conférence de donateurs.
L’incendie de Notre-Dame provoque un élan de solidarité sans précédent et les promesses de dons affluent pour rebâtir le monument, atteignant au moins 800 millions d’euros. La barre du milliard devrait être facilement franchie.
« Aussi besoin de mesures pour l’urgence sociale »
Dès mardi, dans l’opposition comme dans la majorité, des voix s’élevaient déjà pour critiquer la réduction d’impôts – de 60 % pour les entreprises, au titre de la niche fiscale sur le mécénat – dont devraient bénéficier les donateurs pour la reconstruction de la cathédrale. Pour les particuliers, cette déduction sera de 75 % jusqu’à 1 000 euros, puis 66 % pour les dons plus importants.
« C’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge ! déplorait mardi, dans Le Monde, Gilles Carrez, député Les Républicains (LR) du Val-de-Marne et rapporteur spécial du programme patrimoine pour la commission des finances de l’Assemblée nationale. Sur près de 700 millions d’euros [de dons annoncés mardi], environ 420 millions seront financés par l’Etat, au titre du budget 2020 ».
Mardi midi, Philippe Poutou, l’un des porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste et secrétaire général de la CGT de l’usine Ford que le groupe va fermer à Blanquefort, a publié un tweet critique :
« Les grosses fortunes touchées par le “drame” de la cathédrale de Paris : Pinault donne 100 millions, Arnaud donne 200 millions ! S’ils ont trop d’argent, qu’ils le mettent à disposition de la collectivité, il y a bien des urgences sociales. Ou qu’ils se laissent réquisitionner. »
Mercredi 17 avril, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT s’y est aussi risqué, sur Franceinfo. « Vous voyez qu’il y a des milliardaires qui ont beaucoup, beaucoup d’argent » et « en un clic, 200 millions, 100 millions, ça montre aussi les inégalités, ce que nous dénonçons régulièrement, les inégalités dans ce pays », a-t-il déclaré. « S’ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu’ils arrêtent de nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire l’urgence sociale (…). Il y a aussi besoin de mesures pour régler l’urgence sociale. »
La CGT n’a « pas prévu » de donner pour Notre-Dame car le syndicat « contribue plus sur des actions sociales », comme pour aider « des enfants défavorisés » à partir en vacances, « mais je pense que les militants de la CGT le feront », a indiqué M. Martinez.
« Un pognon de dingue » pour Notre-Dame
Mercredi, Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise (LFI) aux élections européennes, a dénoncé les arrière-pensées des grandes entreprises et des grosses fortunes. « On ne peut pas faire de la préservation de notre patrimoine une grande opération de communication comme certains sont en train de le faire », a-t-elle accusé sur LCI, dénonçant « une espèce de course à l’échalote de l’entreprise qui donnerait le plus tout en revendiquant l’exonération d’impôt ».
« J’ai impression d’avoir le classement des entreprises présentes et des personnes présentes dans les paradis fiscaux. Le plus simple, ce serait déjà qu’ils commencent par payer leurs impôts, ils ne peuvent pas se payer une opération de communication en mettant leur nom potentiellement sur une pierre de Notre-Dame et de l’autre côté, ne pas payer leurs impôts. »
.@ManonAubryFr sur les dons pour #NotreDame :"Il y a une espèce de course à l'entreprise qui donnera le plus, tou… https://t.co/ZTSllEjV9s
— LaMatinaleLCI (@La Matinale LCI)
« Les milliardaires vont passer pour des héros. Ils feraient mieux de renoncer à l’évasion et à l’optimisation fiscales », a critiqué sur Twitter la sénatrice EELV Esther Benbassa, rêvant d’« un élan aussi spontané et massif en faveur des associations et structures prenant en charge l’extrême pauvreté, l’exclusion sociale, les sans-abri ».
Des figures des « gilets jaunes » ont également vivement réagi. « Que l’oligarchie donne pour Notre-Dame, c’est bien. L’exemplarité fiscale serait encore mieux. La bonne conscience ne cache pas la misère et l’austérité », a dénoncé sur Twitter Benjamin Cauchy, qui est également candidat aux élections européennes sur la liste Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan.
Maxime Nicolle, l’un des leaders des « gilets jaunes », avait tweeté, lundi soir « Un symbole brûle et se meurt… mais un peuple demande à vivre ! les deux sont à reconstruire ! ». Mercredi, sur BFM-TV, Ingrid Levavasseur, initiatrice d’une liste « gilets jaunes » pour les élections européennes avant de finalement renoncer, a dit « compatir énormément à cette douleur » provoquée par l’incendie. « Mais j’aimerais qu’on revienne à la réalité », a-t-elle dit, évoquant « une colère naissante qui monte sur les réseaux sociaux » à ce sujet, et dénonçant « l’inertie des grands groupes face à la misère sociale alors qu’ils prouvent leur capacité à mobiliser en une seule nuit “un pognon de dingue” pour Notre-Dame » – en référence aux propos controversés d’Emmanuel Macron sur les aides sociales.
Sur Twitter, l’essayiste catholique Erwan Le Morhedec a appelé ceux qui jugeraient leur don « dérisoire » face au ruissellement d’argent des entreprises sur une cathédrale toujours debout à « le convertir au profit des associations qui soignent les “temples vivants” et dont les dons se sont, eux, écroulés ».
Couper court à la polémique
Le maire Les Républicains de Nice, Christian Estrosi, a pris la défense des grands donateurs mis en cause. « Je ne veux pas qu’on montre du doigt les grands, comme certains le font, car vous noterez que les grands, ce sont aussi des capitaines d’industrie, des chefs d’entreprises, des créateurs de milliers d’emplois dans notre pays », a-t-il plaidé sur Cnews.
« Nous sommes à un moment d’union nationale. Les polémiques sont minables. Il y a une formidable mobilisation de tout le monde, on va atteindre le milliard de dons dans la journée. Il faut maintenir cet élan », a répliqué, mercredi, sur BFM Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef).
La famille Pinault a annoncé mercredi qu’elle ne ferait « pas valoir l’avantage fiscal » auquel pouvait prétendre son don de 100 millions d’euros pour le chantier de réhabilitation de Notre-Dame de Paris. « La famille Pinault considère en effet qu’il n’est pas question d’en faire porter la charge aux contribuables français », indique dans un communiqué, François-Henri Pinault, président de la holding familiale et PDG du groupe de luxe Kering.
Cette décision, qualifiée de « logique et saine », a été saluée mercredi par Joël Giraud (La République en marche), rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale. LVMH, la famille Bettencourt et le groupe L’Oréal se sont refusés à tout commentaire sur cette question fiscale.