Au Maroc, la grève des enseignants contractuels se poursuit
Au Maroc, la grève des enseignants contractuels se poursuit
Par Ghalia Kadiri
Les jeunes professeurs et instituteurs dénoncent une précarisation de la profession, une privatisation du secteur et réclament le statut de fonctionnaire.
Manifestation le 23 mars à Rabat des jeunes enseignants qui dénoncent la précarité deleur situation depuis le début du mois. / FADEL SENNA/AFP
Leur colère ne s’apaise pas. Depuis bientôt sept semaines, des milliers de jeunes enseignants de l’éducation nationale recrutés par contrat à durée déterminée (CDD) continuent de crier leur mécontentement, peu convaincus par les propositions du gouvernement. Malgré les menaces de révocation et le gel de leur salaire, près de la moitié de ces enseignants poursuivent le mouvement de grève lancé le 3 mars partout à travers le Maroc, laissant quelque 300 000 élèves du primaire et du secondaire sans professeurs.
« Nous réclamons le statut de fonctionnaire, nous réclamons la dignité, l’égalité et le respect de la profession », proteste Ahmed, membre de la Coordination des enseignants contractuels, née en même temps que le mouvement mais dépourvue de statut légal. « C’est comme dans tous les métiers au Maroc : les jeunes sont abandonnés, soit laissés au chômage soit dans la précarité », s’indigne le jeune homme, en référence au taux de chômage des jeunes dans le royaume qui avoisine les 20 %.
« Précarité »
Comme Ahmed, 55 000 jeunes professeurs ont été recrutés depuis 2016 pour combler le manque d’instituteurs après de nombreux départs à la retraite et lutter contre le sureffectif qui peut atteindre les soixante élèves par classe. « A l’époque, il a fallu agir vite et recruter des professeurs en urgence. C’est pourquoi mon prédécesseur a eu recours à la contractualisation, explique au Monde Afrique le ministre de l’éducation, Saaïd Amzazi. C’était la solution la plus efficace. Nous avons lancé un concours au sein des académies régionales et, en quatre ans, nous avons recruté 55 000 professeurs titulaires d’une licence, auxquels s’ajoutent 15 000 qui sont actuellement en formation. C’est une grande prouesse ! »
Mais, du côté des enseignants, cette politique de recrutement par contrat est perçue comme une tentative de privatisation de l’enseignement au Maroc. Car, s’ils ont les mêmes salaires que les fonctionnaires permanents (5 000 dirhams par mois, soit environ 460 euros), les jeunes recrues se plaignent de ne pas jouir des mêmes droits. « Ces jeunes ont été obligés de signer ces contrats, car ils n’avaient pas le choix. La précarité dans l’enseignement privé est encore pire, déplore Aberrazak Drissi, secrétaire général de la Fédération nationale des enseignants (FNE). Au Maroc, nous assistons à une généralisation du travail contractuel, un travail limité par le temps et l’espace. Cela signifie que l’employeur peut se débarrasser de l’employé facilement. Nous refusons cela. »
Depuis plusieurs années, l’enseignement public marocain fait l’objet de critiques récurrentes, notamment en raison de la baisse du niveau des élèves et du fort taux de décrochage scolaire, sur fond de privatisation continue du secteur. « Il y a un véritable sens politique lié à la dégradation de l’éducation nationale : c’est devenu un grand marché avec beaucoup de clients que sont les élèves et des salariés professeurs mal payés. Le résultat, c’est qu’il y a un enseignement à plusieurs vitesses dans notre pays », poursuit M. Drissi.
Appuyés par les principaux syndicats du secteur, les enseignants recrutés en CDD ont manifesté à plusieurs reprises ces derniers mois pour réclamer le statut de fonctionnaire au sein de l’éducation nationale et des avantages qui vont avec, notamment l’accès à la Caisse marocaine des retraites.
« Menace »
Le 23 mars, une manifestation rassemblant des dizaines de milliers d’enseignants contractuels devant le Parlement à Rabat avait été dispersée par les forces de l’ordre à l’aide de canons à eau. Le 20 février, une autre manifestation d’enseignants avait été dispersée par la police et fait plusieurs blessés. « C’est soit le mépris, soit la matraque ! », tempête Abderrazak Drissi, de la Fédération nationale des enseignants.
Au fil des semaines, le gouvernement, qui a gelé le salaire des enseignants en grève, a fait différentes propositions. « Nous avons créé un statut spécial du personnel des académies régionales qui leur confère tous les avantages de la fonction publique. Ils ont désormais accès à certains postes tel que directeur d’établissement. Quant à la retraite, les caisses vont bientôt fusionner et de toute façon ces jeunes sont encore loin de la retraite donc c’est un faux problème, se défend le ministre de l’éducation. Finalement, leur statut est exactement le même que celui d’un fonctionnaire à une seule différence : ils n’ont pas le droit à la mobilité nationale, mais seulement régionale. Or il est impératif au Maroc de doter les régions reculées d’une offre d’enseignement. »
Depuis la rentrée scolaire du 15 avril, une partie des enseignants grévistes ont regagné leurs classes, le taux d’absentéisme étant passé de 65 % à 45 %. Les « contractuels tiennent toujours au statut de fonctionnaire » a toutefois tenu à rappeler la Coordination des enseignants contractuels dans un communiqué relayé par des médias locaux. Mais des milliers d’autres observent toujours une grève, qui n’est pas reconnue par les autorités. « Il s’agit d’un abandon de poste caractérisé ! Ceux qui ne retourneront pas travailler seront révoqués », avertit le ministre de l’éducation, Saaïd Amzazi. Une déclaration vécue comme une « menace » et une « énième preuve de mépris » par les enseignants toujours nourris de colère.