Suicides dans la police : «Il n’existe aucune étude de fond du ministère permettant d’analyser le phénomène »
Suicides dans la police : «Il n’existe aucune étude de fond du ministère permettant d’analyser le phénomène »
Propos recueillis par Louise Couvelaire
Pour le chercheur, Sebastian Roché, le nombre important de suicides de policiers enregistrés depuis le début de l’année est un phénomène alarmant.
Sebastian Roché, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), est un spécialiste de la police. Il a notamment publié De la police en démocratie (Grasset, 2016). Pour le chercheur, le nombre important de suicides de policiers enregistrés depuis le début de l’année est un phénomène alarmant, mais difficile à analyser, faute d’études sur le sujet.
Les suicides des policiers se multiplient depuis le début de l’année. S’agit-il d’un niveau « hors norme » ?
Le taux de sur-suicides des policiers se maintient à un niveau élevé depuis longtemps. Cela fait quarante ans que l’on sait qu’il y a davantage de suicides chez les policiers que dans le reste de la population à structure égale, c’est-à-dire entre 35 ans et 45 ans et majoritairement masculine. En juin 2018, un rapport du Sénat pointait un taux de suicides dans la police supérieur de 36 % à celui de la population générale. Mais ce qui est certain, c’est que l’année 2019 est très mal partie, et c’est alarmant. Si le rythme se maintient, on pourrait atteindre le record de l’année 1996, « année noire » qui avait enregistré soixante-dix suicides.
Quelles sont les causes de ce taux de « sur-suicides » ?
On ne le sait pas justement. Et c’est bien le problème. Il n’existe aucune étude de fond du ministère de l’intérieur permettant d’analyser le phénomène. Il y a un défaut de volonté de comprendre. C’est une lacune historique et structurelle de Beauvau. Résultat, nous n’avons toujours pas réussi à identifier le problème ni été capables de mesurer l’efficacité des mesures mises en place jusqu’à présent.
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est d’entendre le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, dire que les causes ne sont peut-être pas uniquement d’ordre personnel, mais qu’elles peuvent être liées au métier. C’est une façon de reconnaître la responsabilité de l’employeur, c’est-à-dire de l’État. Mais ce ne sont que des suppositions, le fait est que nous n’en avons pas la démonstration. Nous ne savons pas non plus quel impact a eu l’autorisation, depuis 2015, pour les policiers de porter leur arme en dehors du service.
Les syndicats de police dénoncent des conditions de travail éprouvantes. La crise des « gilets jaunes » peut-elle être un facteur ?
L’intensité du travail n’est pas une explication en soi. Il s’agit probablement d’une conjonction de facteurs. L’année 2016, post-attentats, a été une année de forte mobilisation policière et de grandes tensions pour les forces de l’ordre, et pourtant les suicides avaient diminué par rapport à 2015. La qualité de la relation avec la population joue probablement un rôle important. En 2016, elle était meilleure que les années précédentes, ce qui peut aider les policiers à donner un sens à leur engagement.
Sur ce terrain, 2019 est une année conflictuelle et donc difficile. Les policiers sont mis en cause par une partie de la population qui jusque-là les soutenait. Pour répondre à leur détresse, il ne suffit pas d’ouvrir une ligne téléphonique, comme le prévoit le plan antisuicides, il faut multiplier les portes d’entrée pour appeler à l’aide, comme l’a fait la police de Montréal, au Canada, en formant la hiérarchie, les syndicats et des pairs référents.