Sur les lieux d’une explosion, à Colombo, le 22 avril. / JEWEL SAMAD / AFP

Editorial du « Monde ». La série d’attentats kamikazes qui a fauché plus de 300 vies au Sri Lanka dans des églises et des hôtels lors des sanglantes Pâques du 21 avril rappelle ­combien la puissance dévastatrice du djihadisme reste entière, malgré la perte par l’organisation Etat islamique de son assise territoriale en Syrie.

Attribuées à des membres du groupuscule islamiste local National Thowheeth Jama’ath (NTJ, « Organisation monothéiste nationale »), les attaques ont révélé une expertise technique certaine et une audace perverse dans le scénario (des kamikazes se sont fait exploser dans la file d’attente d’un buffet d’hôtel). Enfin, la date retenue de Pâques pour cibler les plus célèbres églises catholiques du pays, tout en frappant de prestigieuses infrastructures touristiques, a assuré à ses ­organisateurs un retentissement médiatique international.

Que le plus sanglant attentat depuis le début de l’année ait frappé un pays en développement d’Asie montre combien les territoires à conquérir restent nombreux pour le terrorisme international dans cette région, en l’occurrence l’Asie du Sud et du Sud-Est. D’autres pays en ont fait la triste expérience, comme l’Indonésie (contre des églises chrétiennes en 2018) et le Bangladesh (contre des lieux symboliques de l’occidentalisation en 2015), mais aussi les Philippines.

Failles de sécurité

Au Sri Lanka, les terroristes ont profité de failles de sécurité évidentes, facilitées par le conflit qui consume le pouvoir depuis la crise d’octobre 2018 entre l’actuel président et son premier ministre. Cette rivalité a semble-t-il empêché la prise en compte d’un rapport de police avertissant, sur la foi des informations d’un service de renseignement étranger, d’actions kamikazes contre des églises par le groupuscule NTJ et plusieurs de ses membres nommément identifiés.

Pour le Sri Lanka et ses 21 millions d’habitants, le réveil est rude. L’île à majorité bouddhiste (70 %), mais forte de 13 % d’hindouistes, de 10 % de musulmans et de 7 % de chrétiens, fête cette année une décennie de paix depuis la fin de la guerre civile. Pendant trente ans, au prix d’une centaine de milliers de morts, le gouvernement du Sri Lanka, dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste, s’est affronté au mouvement séparatiste armé de la minorité ethnique tamoule, de confession essentiellement hindouiste et occupant le nord et l’est de l’île.

L’issue du conflit a galvanisé le nationalisme cinghalais. Et des tensions ont opposé ces dernières années une frange radicale bouddhiste, incarnée par le mouvement extrémiste du Bodu Bala Sena (BBS), ou « Force du pouvoir bouddhiste », et les prédicateurs et militants islamistes, soupçonnés d’être sous influence du wahhabisme et des pays du Golfe. Le NTJ se serait ainsi organisé en réaction aux émeutes ­antimusulmanes de 2014 suscitées par le BBS dans le sud-ouest du pays.

En 2017, le NTJ a été impliqué dans des violences au sabre entre groupes rivaux islamistes dans la ville à majorité musulmane de Kattankudy. En 2018, à Kandy, de nouveaux heurts entre bouddhistes et musulmans ont fait plusieurs morts, ce qui a conduit le gouvernement à y instaurer l’état d’urgence pendant plusieurs jours. En apparence vite circonscrites, ces éruptions de violence attisent les rancœurs sur les ­réseaux sociaux. Une aubaine pour les cerveaux de l’action djihadiste, qui ont alors imaginé le moyen de frapper le plus fort possible le pays, et, à travers la religion chrétienne, l’Occident honni.