« La Miséricorde de la jungle » : tête-à-tête entre deux Rwandais égarés
« La Miséricorde de la jungle » : tête-à-tête entre deux Rwandais égarés
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur rwandais Joël Karekezi met en scène la réaction en chaîne provoquée par le génocide à travers l’errance de deux soldats.
Au Rwanda, il s’est tourné, depuis le génocide de 1994, nombre de films évoquant la tragédie. Mais, à ce jour, ceux que les spectateurs des festivals internationaux et des salles d’art et d’essai ont vus ont été l’œuvre de cinéastes britanniques, belges, français ou haïtiens. Présenté à Toronto, La Miséricorde de la jungle – qui ne met pas en scène l’extermination des Tutsi, mais plutôt l’interminable réaction en chaîne qu’elle a déclenchée – est le premier film à s’aventurer sur la scène internationale, réalisé par un Rwandais, Joël Karekezi.
A la fois film de guerre et de survie, La Miséricorde de la jungle voudrait embrasser la complexité d’une histoire dont chaque repli cache des abysses, à travers les figures du film de genre. Servi par des acteurs remarquables, Joël Karekezi ne parvient pourtant que par intermittence à mener à bien ce projet, entravé à la fois par son ambition et, sans doute, par son manque de moyens.
En 1998, alors que l’alliance entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda s’est désintégrée, laissant place à une guerre sans merci, une patrouille rwandaise chemine dans la forêt, quelque part dans l’est de la RDC. Un sous-officier de carrière, le sergent Xavier (Marc Zinga), et un conscrit, Faustin (Stéphane Bak), sont séparés de leur unité, par la faute du premier. Les deux hommes sont isolés dans une région ravagée par les formations paramilitaires, alliées théoriques du pouvoir congolais, surtout préoccupées d’exploiter les ressources minières en réduisant les populations en esclavage.
Houe contre fusil
Pour rejoindre l’armée rwandaise, qui a lancé une offensive sur deux fronts, en organisant un pont aérien de Kigali jusqu’à l’ouest de Kinshasa, Xavier et Faustin entreprennent de traverser la RDC (tourné en Ouganda, le film fait fi de la vraisemblance géographique). Cette déambulation se veut la fois la peinture d’un enfer et un dialogue philosophico-historique entre l’homme qui a fait des armes son métier et celui qui a été forcé d’échanger sa houe contre un fusil.
La Miséricorde de la jungle accomplit mieux sa mission de divertissement que ses ambitions historiques. Marc Zinga fait du sous-officier un homme plein de toutes les ressources que l’on peut accumuler en des décennies de campagnes. En proie à une crise de paludisme, le sergent Xavier reste un soldat. Bien sûr, la fièvre fait renaître les fantômes des horreurs passées, il n’empêche : le soldat reste un bloc de rationalité violente face au chaos. C’est lui qui sait comment échapper aux forces adverses, c’est lui qui finit par négocier avec le chef du village qui les a recueillis lui et Faustin.
Le metteur en scène joue intelligemment du contraste entre les deux personnages principaux, qui devient le repère central du film, immédiatement déchiffrable pour des spectateurs qui – dans leur majorité – seront perdus dans le labyrinthe de l’Afrique des Grands Lacs. C’est à travers les yeux du militaire écœuré par la répétition et du paysan traumatisé par le souvenir du génocide que l’on voit la barbarie à l’œuvre dans les mines à ciel ouvert (la figure d’un milicien congolais aux cheveux teints incarnant le mal absolu), que l’on découvre, à la fin du film, que l’armée rwandaise, celle qui a chassé le Hutu Power de Kigali, en 1994, ne traite pas mieux ses hommes que les autres forces de la région.
Le dialogue entre Xavier et Faustin tourne vite en rond. On comprend que le premier a grandi dans les camps de réfugiés tutsi et a vécu le printemps 1994 de l’extérieur, contrairement au second. Dialogué en swahili et en français, La Miséricorde de la jungle multiplie les allusions aux épisodes d’une histoire complexe sans aller au-delà de la déploration de la violence. Finalement, ces deux-là ne sont pas différents des commandos précipités dans une opération douteuse par un pouvoir aveugle qui les ont précédés à l’écran. Parce que cette histoire nous a été rarement contée par des Africains, encore moins par des Rwandais, on aurait aimé avancer un peu plus loin.
La Miséricorde de la Jungle - Bande annonce HD VOST
Durée : 01:37
Film rwandais, français et belge de Joël Karekezi. Avec Marc Zinga, Stéphane Bak (1 h 31). Sur le Web : urbandistribution.fr