« Au Japon, il n’y a pas de débat sur les fonctions de l’empereur »
« Au Japon, il n’y a pas de débat sur les fonctions de l’empereur »
Les réflexions liées à l’institution impériale portent surtout sur la question des femmes sur le trône, note Philippe Mesmer, journaliste au « Monde », lors d’un tchat.
Des Japonais s’inclinent devant le Palais impérial, le 30 avril à Tokyo. / Shinji Kita / AP
L’empereur du Japon, Akihito, a conclu, mardi 30 avril, les cérémonies d’abdication, cédant, après trente ans de règne, le trône du Chrysanthème à son fils aîné, Naruhito. Il s’agit de la première abdication au Japon depuis plus de deux siècles. Lors d’un tchat, Philippe Mesmer, journaliste au Monde, a répondu aux questions des internautes.
Orignal : Sait-on si le nouvel empereur maintiendra la position antinationaliste de son père, par exemple en n’allant pas rendre des visites au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, où se trouvent les tombes de plusieurs officiers condamnés pour crimes de guerre ?
Philippe Mesmer : Le nouvel empereur, Naruhito, semble enclin à suivre le positionnement pacifiste de son père. En 2015, pour le 70e anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale, ce passionné d’histoire avait profité d’une conférence de presse pour appeler « à regarder avec humilité » le passé. Il avait appelé les générations ayant vécu la guerre à « transmettre correctement à celles qui ne l’ont pas connue les expériences de l’histoire tragique du Japon ».
De ce fait, il ne devrait pas aller à Yasukuni, comme son père. A noter qu’Hirohito, son grand-père, avait cessé d’aller à Yasukuni quand les âmes de 14 criminels de guerre de classe A y ont été transférées en 1978.
Neko-chan : Qui sera le successeur officiel de Naruhito ?
Ph. Me. : Le premier successeur de Naruhito sera son frère cadet, Akishino. En deuxième position dans la lignée impériale, il y aura Hisahito, fils d’Akishino. En troisième position sera le prince Hitachi, petit frère d’Akihito, qui vient d’abdiquer.
chat teigneux : Alors que le premier ministre souhaite réformer la Constitution japonaise imposée par les Américains après la seconde guerre mondiale, y-a-t-il un débat sur la fonction de l’empereur actuellement ?
Ph. Me. : Il n’y a pas de débat sur les fonctions impériales. Les débats liés à l’institution impériale portent sur la question des femmes sur le trône, la possibilité d’une impératrice. Ce n’est pas possible aujourd’hui en raison du régime patrilinéaire en place depuis l’ère Meiji (1868-1912).
Q : Sait-on quelle sera la première destination à l’international du nouvel empereur ?
Ph. Me. : Non. Ce que l’on sait, c’est que le premier dirigeant étranger qui le rencontrera sera Donald Trump, qui doit effectuer une visite officielle au Japon du 25 au 28 mai.
Q : L’empereur dispose-t-il de leviers d’actions pour faire évoluer le pays ? (au niveau social, à l’international…)
Ph. Me. : Selon la Constitution, l’empereur « n’a pas de pouvoirs de gouvernement ». Mais il peut, de manière symbolique et par ses actions, donner l’exemple, ou transmettre un message. Akihito, qui vient d’abdiquer, a axé ses initiatives sur la défense de la paix et des valeurs démocratiques, qui ont servi de cadre à la période de l’après-guerre.
A l’international, Naruhito, qui va monter sur le trône, pourrait peser sur les questions environnementales, spécifiquement celles liées à l’accès à l’eau. Ce sujet le passionne et il s’est déjà investi sur ce sujet, en tant que prince héritier.
Son éducation fait qu’il parle plusieurs langues. Il est très ouvert sur le monde. Il pourrait donc avoir une action hors de l’archipel, même si le cadre de la Maison impériale reste très contraignant.
Rouquin : Existe-t-il un courant républicain au Japon, même minoritaire ?
Ph. Me. : Il y a des mouvements hostiles à l’institution impériale, à l’extrême gauche du paysage politique. Parmi les formations représentées au Parlement, seul le Parti communiste japonais a milité pour la suppression de l’institution impériale. Aujourd’hui, son programme prévoit que, s’il arrive au pouvoir, il soumettra à référendum la question de son maintien.
Des manifestants opposés à l’institution impériale, le 30 avril à Tokyo. / KYODO / REUTERS
Jo : Pourquoi l’empereur Akihito a-t-il abdiqué ?
Ph. Me. : Principalement pour des raisons de santé. « Je m’inquiète de la difficulté à remplir mes fonctions en tant que symbole de l’Etat », expliquait-il en 2016 pour justifier sa décision. L’empereur a évoqué son âge, son emploi du temps et des « limites physiques » de plus en plus importantes.
En 2012, il a subi un pontage coronarien, un an après avoir été soigné pour une pneumonie. En 2003, il avait été traité pour une tumeur à la prostate. Il a peu à peu réduit ses activités protocolaires.
Il semble que les exemples de la reine Béatrice des Pays-Bas et du pape Benoît XVI, qui ont eux aussi choisi de quitter leurs fonctions, ont pu peser dans son choix.
Il est également possible qu’il ait voulu témoigner d’une certaine maîtrise de son destin. L’empereur n’a pas de nom de famille, n’a pas le droit de vote et ne peut se mêler de politique.
Lisa : Comment réagissent les Japonais à ce moment ? Intérêt, indifférence ?
Ph. Me. : L’empereur Akihito était très populaire. Sa proximité avec la population, sa bienveillance et sa modestie, illustrées lors des catastrophes naturelles quand il se rendait dans les centres accueillant des évacués et qu’il s’agenouillait et prenait le temps de parler avec eux, lui ont permis de se forger une image extrêmement positive et attachante. Sa défense indéfectible des valeurs de paix et l’expression régulière de ses regrets pour les souffrances infligées par le Japon pendant les conflits passés ont également joué en sa faveur.
De ce fait, il y avait foule ce mardi au Palais impérial pour son abdication. Et les télévisions ont largement couvert l’événement.
JulienS : Existe-t-il toujours cette pression sociale autour de l’épouse de Naruhito pour lui donner un fils ?
Ph. Me. : Compte tenu de son âge, 55 ans, et de son état de santé toujours délicat, je pense qu’il n’y a plus de pression sur la princesse Masako pour avoir un fils. Mais le fait qu’elle n’en a pas eu joue encore sur son image, qui n’est pas très bonne dans l’opinion.
Archibald : L’impératrice Michiko et la nouvelle souveraine, Masako, sont d’origine roturière. Cela a t-il modifié significativement le fonctionnement de la famille impériale ? Est-elle plus ouverte sur la société ?
Ph. Me. : Difficile à dire. L’impression donnée est plutôt que l’institution impériale les a forcées à s’adapter à son fonctionnement extrêmement pesant, au point de presque les briser. Toutes deux ont connu des moments extrêmement difficiles.
En revanche, Akihito a agi pour assouplir le fonctionnement de la famille impériale, en décidant notamment qu’il élèverait, avec son épouse, ses enfants de manière « normale ». Naruhito fait de même avec Masako pour leur fille Aiko.
Par leur éducation internationale, Naruhito et Masako sont plus ouverts sur le monde, ce qui fait espérer une évolution de l’institution impériale.
Archibald : Quel sera désormais le titre d’Akihito ? Empereur émérite ou simple prince ?
Les titres d’Akihito et de Michiko seront joko (上皇) et jokogo (上皇后) qui sont traduits par « empereur émérite » et « impératrice émérite ». Historiquement, il y a déjà eu des joko, mais jamais de jokogo.
Cédric : Quelle est la journée type d’un empereur japonais ? On dit qu’on le change trois fois par jour, il est toujours accompagné par des assistants…
Ph. Me. : L’emploi du temps d’un empereur est particulièrement chargé. Pour la seule année 2017, Akihito, qui remplissait, dit-on, ses obligations avec le plus grand sérieux, a apposé son sceau impérial sur 960 décisions (lois, décrets…) prises par le gouvernement. Il a participé à près de 200 banquets et réceptions.
Il a également présidé les investitures des nouveaux gouvernements, les ouvertures de sessions parlementaires et il a également reçu en audience les ambassadeurs étrangers nommés au Japon.
Il doit également aussi honorer des obligations religieuses, en tant que représentant du culte shinto.