L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Une femme photographiée en contre-plongée, le dos courbé, passe l’aspirateur. En dessous s’inscrit en grosses lettres jaunes, sur fond rouge, le titre du film, Her Job (« Son travail »). L’affiche du premier long-métrage de Nikos Labôt ne trompe pas. Elle résume l’enjeu du film. Et révèle la façon directe, claire et abrupte que le réalisateur a choisie pour traiter son sujet, à travers le portrait d’une héroïne, Panayiota (Marisha Triantafyllidou), dont le beau visage occupe entièrement le cadre, dès le plan d’ouverture. Et dont l’histoire singulière accapare également tout le film. Porté par une actrice bouleversante, d’une densité peu commune, Her Job fait entendre une voix, simple et quasi silencieuse. Semblable à beaucoup d’autres et soudain rendue unique par ce timbre d’une profonde humanité qu’a su lui apporter le réalisateur.

A Athènes, dans l’appartement qu’elle partage avec son mari, Kostas (Dimitris Imellos), et ses deux enfants, le quotidien de Panayiota, 37 ans, est réglé au rythme des activités ménagères. Lessive, ménage, courses, préparation des repas, accompagnement à l’école et devoirs des enfants… lui incombent. Autant que lui revient le droit de se taire, quand s’expriment contre elles les plaintes et les aigreurs cinglantes d’un mari au chômage, les reproches d’une fille aînée que chaque caprice insatisfait conduit à la crise de nerfs. L’argent manque, l’amour vit sa peine, le monde extérieur demeure inabordable.

Cet emploi conduit l’héroïne à gagner une autonomie dont les effets apparaissent en touches subtiles

Ce dernier pénètre cependant dans l’espace confiné du foyer en fond sonore, par la radio et la télévision qui diffusent les informations sur la crise économique grecque. Chaque flash alimente le fiel du mari et l’immobilise toujours un peu plus sur sa chaise. Tandis que Panayiota se meut avec une énergie que contredisent son regard éteint et son visage sans âge. Mais que l’objectif de la caméra signale comme un indice sur le basculement qui va s’opérer. Quand, en effet, revient aux oreilles de la jeune femme que s’ouvrent des embauches au centre commercial voisin, elle surprend. Hésitant à peine dans la décision qui semblait lui être interdite, elle part se présenter au bureau de recrutement et y décroche un poste de femme de ménage.

L’emploi la soumet, ailleurs que chez elle, à l’autorité, à la subordination et aux tâches harassantes. Il la conduit, on ne s’y attend pas, à gagner une autonomie dont les effets apparaissent en touches subtiles, à peine perceptibles (un sourire esquissé au moment de la première paie, un désir énoncé avec fermeté face au mari, une pause accordée aux amitiés naissantes). Dans ce lieu plus vaste que son appartement, mais tout aussi aliénant, Panayiota trouve sa sortie de secours. Un espace de liberté où elle apprend, à la manière dont on monte des marches, l’usage de la carte bancaire, la conduite d’une voiture, la camaraderie, l’estime de soi.

Un esprit de résistance

Ce long et complexe processus de libération d’une femme, au sein d’un univers asservissant, auquel demeure attentif le film, nous est rapporté par les petits détails d’une existence dont le glissement s’accomplit doucement. La caméra, proche des comédiens, donne à voir les émotions sur les visages et les mutations qui s’exercent sur le corps de l’héroïne, à mesure qu’elle s’émancipe. Pour atteindre ce résultat, Nikos Labôt a travaillé près de deux ans avec l’actrice Marisha Triantafyllidou. De même qu’il a laissé la place à des moments d’improvisation durant les répétitions et sur le tournage. La démarche visait à obtenir plus de spontanéité de la part des comédiens. Elle a aidé au réalisme du film. Lequel a d’abord pour vertu de créer l’illusion de la simplicité, pour ensuite révéler toutes les ambiguïtés et la souffrance qu’elle dissimule.

Victime d’une société en crise où les entreprises sous-paient et licencient sans explication ses employés, Panayiota n’apparaît pas moins comme un personnage animé d’un esprit de résistance. Ce trait de caractère tient en respect l’émotion que suscite le film et suffit à la dimension politique qu’il revêt. Le scénario coécrit par Nikos Labôt et Katerina Kleitsioti s’inscrit dans la même veine, épuré de phrases inutiles, astreint à une rectitude qui conduit droit, et avec pudeur, à l’empathie. En s’attachant aux pas de cette héroïne qu’il met en lumière, et qui lui a été inspirée d’une histoire vraie, Nikos Labôt donne une identité aux femmes invisibles, les soustrayant ainsi, le temps d’un film, à la manière d’un Ken Loach, de la disparition.

Her Job | Ιnternational Trailer Official
Durée : 02:22

Film grec, français et serbe de Nikos Labôt. Avec Marisha Triantafyllidou, Dimitris Imellos, Konstantinos Gogoulos (1 h 30). Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/her-job et fr-fr.facebook.com/jour2fete

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 1er mai)

  • Her Job, film français, grec et serbe de Nikos Labôt (à ne pas manquer)
  • Jessica Forever, film français de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (à ne pas manquer)
  • 68, mon père et les clous, documentaire français de Samuel Bigiaoui (à voir)
  • Alice T., film français, roumain et suédois de Radu Muntean (à voir)
  • Coming Out, documentaire français de Denis Parrot (à voir)
  • Dieu existe, son nom est Petrunya, film belge, croate, français, macédonien et slovène de Teona Strugar Mitevska (à voir)
  • Gloria Bell, film américain et chilien de Sebastian Lelio (à voir)
  • Nous finirons ensemble, film français de Guillaume Canet (pourquoi pas)
  • Tremblements, film français, guatémaltèque et luxembourgeois de Jayro Bustamente (pourquoi pas)
  • Cœurs ennemis, film britannique de James Kent (on peut éviter)

A l’affiche également :

  • Amir et Mina : les aventures du tapis volant, film d’animation danois de Karsten Kiilerich
  • Duelles, film belge et français d’Olivier Masset-Depasse
  • Female Pleasure, documentaire allemand, américain, britannique, indien, japonais et suisse de Barbara Miller
  • Filles de mai. Voix de femmes, de 1968 au féminisme, documentaire français de Jorge Amat
  • Lettre à Inger. Une histoire d’engagement, documentaire français de Maria Lucia Castrillon
  • La Peau sur les maux, film français d’Olivier Goujon