« L’enquête russe » revient empoisonner Donald Trump au Congrès
« L’enquête russe » revient empoisonner Donald Trump au Congrès
Le Monde.fr avec AFP
Trois nouveaux faits relancent l’épineux dossier de soupçons de collusion entre les Russes et le président américain lors de la campagne de 2016. « Nous sommes désormais en pleine crise constitutionnelle » a même déclaré le démocrate Jerry Nadler.
Donald Trump, le 8 mai, à son arrivée sur la base aérienne de Tyndall, près de Panama City en Floride. / Evan Vucci / AP
Loin d’être une « affaire classée » comme le proclame Donald Trump, « l’enquête russe » a secoué Washington mercredi 8 mai avec l’annonce surprise de la convocation au Congrès de son fils aîné, le premier vote dirigé contre l’un de ses ministres et le refus inédit de la Maison Blanche de livrer certaines informations sensibles.
« Nous sommes désormais en pleine crise constitutionnelle », a tonné Jerry Nadler, le chef démocrate de la puissante commission judiciaire de la Chambre des représentants. Il s’exprimait après un vote très rare, en commission, pour déclarer que le ministre de la Justice Bill Barr avait entravé les pouvoirs d’investigation du Congrès.
Sa faute : refuser de livrer à la commission la version complète du rapport d’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016.
Cette procédure – qui n’avait été jusqu’ici appliquée qu’à un autre ministre de la Justice, Eric Holder, sous l’administration du démocrate Barack Obama – ne sera conclue qu’après un vote en séance plénière dont la date doit encore être fixée.
Le vote en commission, qui a suivi les lignes partisanes entre démocrates et républicains, marque « une étape très grave et capitale », a poursuivi M. Nadler. Du pur « théâtre politique », a rétorqué le ministère de la Justice.
Le fils Trump convoqué par le Sénat
Quelques minutes plus tard, des médias américains annonçaient que le fils aîné du président républicain, Donald Trump Junior, avait été convoqué par la commission du Renseignement du Sénat dans le cadre de la même enquête russe. Fait marquant : la chambre haute est contrôlée par les républicains – qui ont donc donné leur feu vert en commission à cette décision – contrairement à la Chambre des représentants à majorité démocrate.
C’est la première fois que le Congrès use de ses pouvoirs d’enquête pour convoquer un membre de la famille Trump, dont certains ont témoigné de leur plein gré dans le cadre de cette investigation tentaculaire. Donald Trump Junior, 41 ans, qui gère les affaires familiales à la tête de la Trump Organization, a lui-même déjà été entendu pendant de longues heures par des commissions du Sénat en 2017.
Donald Trump Junior, le 29 mars, à Canal Point en Floride. / Joshua Roberts / REUTERS
D’après les médias américains, qui citent des sources anonymes, la commission sénatoriale du renseignement, contrôlée par les républicains, veut le revoir pour l’interroger sur ses déclarations de l’époque, notamment au sujet d’un projet de Trump Tower à Moscou.
Selon le Wall Street Journal, il a refusé une invitation à comparaître, offrant de répondre aux questions des sénateurs par écrit. Il aurait désormais l’intention de s’opposer à sa convocation, ajoute le quotidien.
« Une chasse aux sorcières » selon Donald Trump
Dans son rapport de près de 450 pages, Robert Mueller a exonéré Donald Trump des soupçons de collusion avec Moscou mais a décrit une dizaine de pressions exercées par le président sur l’enquête.
S’estimant totalement blanchi, M. Trump n’a de cesse de dénoncer une coûteuse « chasse aux sorcières ».
Convaincus au contraire qu’il a « entravé la justice », les démocrates veulent poursuivre l’enquête sur la base du rapport complet, afin de déterminer si les faits relatés justifient l’ouverture d’une procédure de destitution contre Donald Trump.
Pas question, leur a répondu le ministère, alors que les démocrates n’ont pas même accepté son offre de consulter, en comité restreint, une version bien moins expurgée que celle publiée le 18 avril.
Face à la « menace » des démocrates contre Bill Barr, le ministère a demandé à Donald Trump qu’il applique ses prérogatives présidentielles lui permettant de refuser de livrer les documents même sous le coup d’une injonction parlementaire. Ce qu’il a fait mercredi, pour la première fois depuis son arrivée à la Maison Blanche.
« C’est une attaque contre l’essence de notre démocratie », a réagi M. Nadler.
« Les Américains voient clairement que les manœuvres désespérées » des démocrates « visent à les détourner des succès historiques du président », a au contraire lancé Sarah Sanders, porte-parole de l’exécutif.
Si la Chambre estime, lors du vote final, que Bill Barr a entravé les prérogatives d’enquête du Congrès, cela reviendra à constituer un dossier d’inculpation. La justice devra alors décider ou non d’enquêter sur cette base, ce qui n’avait pas eu lieu dans le cas de M. Holder. Bill Barr pourrait risquer une amende, voire une peine d’emprisonnement, mais ces peines restent largement improbables.
Jerry Nadler, le chef démocrate de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, le 8 mai, au Capitol de Washington. / NICHOLAS KAMM / AFP
La destitution en question
Au-delà de l’affaire russe, l’opposition et la Maison Blanche sont en guerre ouverte sur plusieurs autres fronts au Congrès, qui pourraient aller vers d’âpres batailles judiciaires.
Forts de leurs vastes pouvoirs d’investigation à la Chambre, les démocrates réclament ainsi les déclarations d’impôts de Donald Trump et de nombreux autres documents. Mais l’administration leur oppose depuis plusieurs semaines des refus successifs, en dénonçant des demandes injustifiées.
Donald Trump pourrait ainsi chercher à « provoquer » les démocrates pour qu’ils déclenchent une procédure impopulaire de destitution contre lui, a mis en garde la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi.
Avec un habile calcul électoral en tête. Car lancer cette procédure, en sachant que le Sénat l’acquitterait probablement, pourrait être toxique pour les démocrates à l’orée de la présidentielle et des législatives de 2020.
Mais d’autres démocrates, dont plusieurs candidats à la présidentielle, estiment qu’ils n’ont, après le rapport Mueller, plus le choix.