La date n’a pas été choisie au hasard : le 9 mai, jour de la fête de l’Europe. Le lieu non plus : les élus mosellans ont passé l’après-midi en compagnie d’une délégation de leurs homologues de la Sarre à Scy-Chazelles, aux confins de Metz, dans la maison natale de Robert Schuman. Quelques heures plus tôt, les conseillers départementaux avaient adopté une délibération pour exprimer leur droit à la différenciation. Leur ambition ? Transformer le département de la Moselle en « eurodépartement » aux compétences élargies.

Cette résolution s’inspire du principe de « différenciation territoriale » prévu dans la future révision constitutionnelle et défendu par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 25 avril. Elle fait aussi écho au traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier, destiné à relancer la coopération franco-allemande. De même que l’Alsace a pu obtenir de devenir collectivité européenne à partir de 2021, la Moselle excipe de son caractère frontalier pour revendiquer un statut spécial.

Le département compte environ 100 000 travailleurs qui franchissent la frontière quotidiennement pour aller exercer en Belgique, en Allemagne et, surtout, au Luxembourg. Selon les élus mosellans, cette spécificité justifie l’exercice de compétences particulières afin d’apporter des réponses aux problématiques posées par le fait frontalier : mobilité, emploi, formation, santé, apparition de villes-dortoirs… « Ce qui est bon pour l’Alsace est bon pour la Moselle, résume le président du conseil départemental, Patrick Weiten (UDI). En Alsace comme en Moselle, on vit l’Europe de façon concrète au quotidien. Il est temps d’adapter notre cadre institutionnel à cette réalité. »

Financer de nouvelles infrastructures

La résolution adoptée exprime le souhait que la collectivité soit dotée de huit compétences nouvelles. Certaines n’ont qu’une portée symbolique. D’autres, en revanche, permettraient d’enclencher de nouveaux projets. C’est le cas, notamment, de la compétence « mobilités ». L’eurodépartement souhaiterait instaurer une taxe de transit sur les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Un tel dispositif permettrait, assurent les élus, de financer de nouvelles infrastructures de transport entre la France et le Luxembourg. Une nécessité absolue pour les milliers de frontaliers qui empruntent chaque jour l’autoroute A31, complètement saturée.

La Moselle a aussi des ambitions en matière d’éducation, afin de favoriser le plurilinguisme. « Parce que, sur notre territoire, il faut faire plus d’efforts qu’ailleurs pour favoriser l’apprentissage de l’allemand, nous voulons partager cette compétence avec l’Etat, explique M. Weiten. Pour nos jeunes, c’est un passeport pour l’emploi. » L’enjeu est d’autant plus important que le travail frontalier, porté par le dynamisme de l’économie luxembourgeoise, va encore progresser dans les années à venir. Le pays a affiché une croissance de 2,6 % en 2018 et le Statec, l’organisme national de statistiques, anticipe 3 % en 2019 et 3,8 % en 2020. En outre, le vieillissement de la population allemande devrait produire un double effet : directement en Allemagne, où d’importants besoins vont se manifester, et indirectement au Luxembourg, où près d’un quart des emplois frontaliers sont actuellement occupés par des Allemands.

« Si nous demandons ce droit à la différenciation, c’est aussi pour mettre fin à des situations absurdes », assure M. Weiten, qui cite l’exemple des sapeurs-pompiers. « Aujourd’hui, chaque pays organise ses services de secours sans tenir compte de ce que fait le voisin, constate le président du conseil départemental. Nous venons de découvrir que les lances à incendie utilisées en Allemagne ne sont pas compatibles avec les bornes françaises. S’il y avait un incendie à la cathédrale de Metz, les sapeurs-pompiers sarrois, basés à 60 kilomètres de là, ne seraient pas en capacité de venir nous aider. Et inversement. Voilà pourquoi nous devons obtenir le droit de nouer des relations bilatérales à l’échelle de nos territoires. »

Les élus mosellans ne cachent pas attendre avec impatience l’adoption du projet de révision constitutionnelle, qui devrait de nouveau être présenté en juin, pour pouvoir faire valoir leur droit à la différenciation.