Le pape François, au Vatican, jeudi 9 mai. / Alessandra Tarantino/AP

Editorial du « Monde ». Il a tergiversé, donné le sentiment de prendre conscience de l’ampleur du scandale de la pédophilie qui secoue l’Eglise catholique, fait deux pas en avant et trois en arrière. Finalement, jeudi 9 mai, le pape François a opéré sur le sujet un tournant fort et important. Dans un motu proprio (décret) intitulé « Vos estis lux mundi » –« vous êtes la lumière du monde », en référence à l’évangile de l’apôtre Matthieu, qui « appelle chaque fidèle à être un exemple lumineux de vertu, d’intégrité et de sainteté » –, le souverain pontife met fin à la tolérance qui prévalait trop souvent jusqu’à présent.

Il a introduit dans le droit canon une obligation de dénonciation des cas de violence sexuelle sur mineur ou sur une personne vulnérable et de toute manœuvre visant à dissimuler de tels faits. Ces règles s’imposeront, à partir du 1er juin, à tous les diocèses, qui devront se doter, d’ici à juin 2020, de « dispositifs stables et facilement accessibles au public ».

En février, le pape avait déjà pris une initiative salutaire en convoquant à Rome 190 responsables pour un exercice inédit d’introspection sur les raisons du silence ou du déni de nombreux prélats sur les agressions sexuelles perpétrées par des prêtres. Mais le résultat de cette conférence n’avait pas du tout été à la hauteur et avait été accueilli avec consternation par les victimes.

François avait certes reconnu que l’Eglise était confrontée à un problème universel qui, « malheureusement, existe partout ». Il s’était engagé à faire « tout ce qui est nécessaire afin de livrer à la justice quiconque aura commis de tels délits », assurant que « l’Eglise ne cherchera jamais à étouffer ou à sous-estimer aucun cas ». Mais il avait semblé se défausser de ses responsabilités en incriminant… Satan, voyant dans les abus sexuels « une manifestation du mal flagrante, agressive, destructrice ».

La fin du secret pontifical

Les règles prévues par le motu proprio sont strictes. Elles visent les violences sexuelles sur des mineurs ou des personnes vulnérables et tous les actes commis « par menace ou abus d’autorité », comme les viols de religieuses par des prêtres ou les cas de séminaristes abusés par leurs formateurs. Elles obligent surtout le clergé, à tous les échelons, à signaler tout soupçon d’agression sexuelle ou de harcèlement et toute couverture par la hiérarchie. Ainsi, par exemple, l’autorité qui reçoit un signalement contre un évêque ou un supérieur devra saisir soit le Saint-Siège, soit l’archevêque de sa province ecclésiastique.

Ce coup porté à l’omerta s’accompagne de la fin du secret pontifical, qui maintenait les victimes dans l’ignorance de ce qui avait été décidé pour leur agresseur. L’archevêque pourra désormais les informer des suites des accusations.

Les associations de victimes sont cependant déçues. Non seulement il n’y a pas de création d’un tribunal spécial pour juger les évêques coupables, comme elles le réclamaient, mais le motu proprio n’oblige pas l’Eglise à saisir les autorités judiciaires. Au cas par cas, les ecclésiastiques se tourneront ou non vers elles, le Vatican ayant écarté une règle générale pour, plaide-t-il, ne pas mettre en danger les catholiques dans des pays où ils sont persécutés. De même, elles ont regretté l’absence de sanction en cas de non-respect du motu proprio. Mais au moins le pape a-t-il accompli un acte qui devrait permettre de lutter plus efficacement contre ces fléaux qui rongent son Eglise.