En Israël, l’Eurovision met en jeu l’image du pays
En Israël, l’Eurovision met en jeu l’image du pays
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
L’Etat hébreu, qui accueille pour la troisième fois l’événement international, du 14 au 18 mai, aimerait promouvoir à cette occasion son développement économique.
« Taxi » publicitaire pour l’Eurovision, à Tel-Aviv, le 13 mai 2019. / Oded Balilty / AP
L’Eurovision n’est pas qu’un concours de chansons repoussant d’année en année les frontières du kitsch. En 2019, c’est aussi une affaire politique de la plus haute importance pour le pays hôte, Israël, comme pour les pourfendeurs de l’occupation.
L’Etat hébreu, qui accueille pour la troisième fois cet événement international, du 14 au 18 mai, aimerait promouvoir, à cette occasion, son développement économique spectaculaire, ses atouts touristiques. Depuis des décennies, les Israéliens se passionnent pour l’Eurovision, qui fut l’une des premières estrades culturelles où le pays a fait parler de lui. Mais l’effet de loupe que provoque l’événement est aussi exploité par ceux qui placent le conflit israélo-palestinien au centre de tout et veulent stigmatiser Israël.
Aucune délégation ne s’est retirée de la compétition, malgré les multiples pressions du mouvement Boycott, désinvestissement sanctions (BDS). Le candidat français, Bilal Hassani, très remarqué lors de la cérémonie d’accueil, dimanche 12 mai, en raison de sa longue traîne blanche sur le tapis orange, figure parmi les favoris des parieurs. Au total, près de vingt mille policiers sont mobilisés pour encadrer les quarante et un participants arrivés du monde entier, ainsi que plusieurs milliers de touristes, bien moins nombreux que ne l’escomptaient les autorités.
Une partie des fans étrangers découragés
Les prix excessifs dans les hôtels ont forcément joué, le contexte sécuritaire aussi. L’entrée dans la bande de Gaza, par le terminal d’Erez, se trouve à quarante-cinq minutes de Tel-Aviv. Les derniers affrontements graves entre l’armée israélienne et les factions palestiniennes ont découragé une partie des fans étrangers. Les 4 et 5 mai, le Hamas et les autres groupes armés ont déclenché près de sept cents tirs de roquettes et d’obus de mortier en direction d’Israël, tuant quatre civils. De son côté, l’armée a visé près de 350 cibles dans la bande de Gaza, tuant vingt-trois Palestiniens.
Mais la proximité de l’Eurovision a conduit Benyamin Nétanyahou à rejeter – ou à reporter ? – une opération militaire de plus vaste ampleur, qui pousserait probablement les factions à tirer des roquettes vers Tel-Aviv. Une annulation de l’événement musical aurait été une catastrophe en termes d’image. Depuis ce week-end sanglant, et afin d’assurer le calme, précaire, la zone de pêche à Gaza a été de nouveau étendue, et une aide financière supplémentaire du Qatar autorisée à pénétrer dans le territoire sous blocus israélo-égyptien.
En attendant que la compétition s’engage, les Israéliens ont déjà de quoi débattre. D’abord, des chances de leur candidat, Kobi Marimi, dont la chanson Home a été critiquée pour son manque d’originalité. Mais surtout, de l’image renvoyée par leur pays. Une vidéo promotionnelle a focalisé l’attention. Elle a été mise en ligne par la chaîne publique Kan. On y découvre Lucy, une jeune Arabe, et Elia, un migrant venu de Russie, joyeux guides d’Israël. La vidéo a suscité de nombreux commentaires, non seulement en raison d’un sous-titrage curieux en anglais – lovely bitches (jolies chiennes) au lieu de lovely beaches (jolies plages) – mais aussi de certains segments du message promotionnel, qui se présente comme « un rapide endoctrinement ».
« Une satire des stéréotypes sur les juifs et Israël »
Comme d’habitude, des images de Jérusalem dans la vidéo promotionnelle ont fait polémique, le statut de la ville ne devant être décidé qu’au terme de négociations de paix, selon le consensus international que seul Donald Trump a brisé. L’Autorité palestinienne a appelé au retrait de cette séquence. Mais d’autres paroles du clip ont aussi suscité des interrogations. « La plupart d’entre nous sont juifs, mais seulement certains sont cupides », chantent les deux guides. « Je sais ce que vous avez entendu, que c’est une terre de guerre et d’occupation », lance aussi Elia, le jeune barbu hilare, à deux touristes débarquant à l’aéroport Ben-Gourion.
L’occupation y est évoquée rapidement, comme on parlerait du trafic routier pénible autour d’une ville accueillant les Jeux olympiques. Devant les commentaires réprobateurs sur Twitter, la chaîne Kan s’est sentie obligée – ce qui n’est jamais bon signe – de faire le sous-titrage conceptuel de la vidéo, en anglais. « Que les choses soient claires : la comédie musicale était une satire qui prétendait traiter des stéréotypes sur les juifs et Israël. Oui, y compris en utilisant un humour autodévalorisant, comme nous l’aimons. Nous connaissons nos manques, nous n’avons pas honte d’en rire. »
D’autres ont tenté de faire de la pédagogie au sujet de l’occupation. L’organisation non gouvernementale Rompre le silence, qui regroupe des vétérans de l’armée, a accroché un panneau au bord du périphérique de Tel-Aviv, qui reprend le slogan de l’Eurovision, « Osez rêver ». Celui de l’ONG dit « Osez rêver de liberté » et propose aux visiteurs de faire une visite guidée en Cisjordanie, dans la ville d’Hébron, pour mieux se rendre compte de la réalité de l’occupation. « A une heure de votre hôtel, des millions de Palestiniens vivent toujours sous notre pouvoir militaire dans les territoires, explique l’ONG sur son site. Nous le savons, car nous avons été des soldats des forces armées envoyés pour servir dans les territoires, et nous voudrions vous montrer l’image complète. »