Les opérateurs télécoms se font moins la guerre… pour l’instant
Les opérateurs télécoms se font moins la guerre… pour l’instant
LE MONDE ECONOMIE
En France, guerre des prix et consolidation ne sont plus à l’ordre du jour. Mais la moindre étincelle peut rallumer la fureur commerciale.
Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, parle de la stratégie de son groupe en matière de 5G, le 18 avril, à Paris. / ERIC PIERMONT / AFP
Sur les sites de ventes privées, difficile pour le consommateur, à la recherche d’un nouvel abonnement téléphonique, de trouver des promotions aussi alléchantes que l’an passé. En 2018, Free (dont le fondateur Xavier Niel est actionnaire du Monde à titre individuel) l’attirait avec des forfaits mobiles à 1 euro pendant un an, tandis que SFR et Bouygues Telecom se disputaient ses faveurs avec des abonnements à vie pour 5 euros par mois.
Depuis le début de l’année, ces rabais agressifs ont disparu des étagères. « Il y a eu une certaine prise de conscience et donc une accalmie tarifaire », explique Thomas Coudry, analyste chez Bryan Garnier.
Revenus à la raison, les opérateurs ont amélioré leur situation financière au premier trimestre 2019. Bouygues Telecom, qui a publié ses chiffres jeudi 16 mai, est celui qui s’en sort le mieux. L’opérateur gagne des clients dans le fixe et le mobile sans sacrifier ses prix. Son chiffre d’affaires affiche une hausse de 13,3 % à 1,45 milliard d’euros, et un ebidta (équivalent de l’excédent brut d’exploitation) en progression de 20 % à 300 millions d’euros.
Moins flamboyant, Altice, le propriétaire de SFR, remonte la pente : ses ventes reculent moins qu’avant (− 1,6 % sur la même période) et son ebidta est reparti à la hausse (+ 4,5 % à 956 millions d’euros). Malgré l’abandon des offres à 5 euros, « Altice a pris des parts de marché à Orange et Iliad pour le cinquième trimestre consécutif », estiment les analystes de CreditSights.
« La rentrée approche... »
Après une année 2018 très compliquée, la situation a aussi commencé à se tasser chez Free. Ses ventes ont affiché une légère hausse de 0,2 % à 1,2 milliard d’euros (hors rachat de Jaguar Network). « Les résultats sont encourageants même s’il est trop tôt pour crier victoire », juge Thomas Coudry.
Fait inhabituel, c’est Orange qui a affolé le marché. Pour la première fois depuis deux ans, l’ex-monopole public a vu son chiffre d’affaires décliner de 1,8 % en France à 4,4 milliards d’euros sur la période janvier-mars. « Orange a intensifié la proportion des promotions sur la période », explique Thomas Coudry. En cause, les offres Sosh, la marque low cost, qui ont tiré l’ensemble des revenus vers le bas.
Mais l’ex-monopole public reste quand même « le mieux placé pour affronter les difficiles conditions du marché français », estime CreditSights. L’opérateur profite, en effet, d’une place de numéro un dans la fibre optique, dans laquelle il investit massivement, et où il compte désormais 2,8 millions de clients. Il s’appuie également sur ses offres convergentes fixes mobiles, qui fidélisent les consommateurs.
Les opérateurs ont-ils enfin montré que la vie à quatre était possible en France ? Rien n’est moins sûr, tant la situation reste fragile. Tout d’abord, même si la guerre des prix est moins intense que l’an passé, les prix restent bas, et la moindre étincelle peut rallumer la fureur commerciale. « Il y a toujours des offres moins cher qu’il y a trois ans », indique Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James. « La rentrée approche, on rentre dans une période où la politique commerciale devient plus importante. Dès qu’il y aura un décalage dans les parts de marché, la guerre des prix repartira », prédit Sylvain Chevallier, de BearingPoint.
Chacun a ses faiblesses
Chaque opérateur a ses faiblesses. Free perd encore des abonnés dans le mobile et dans le fixe, où la box Delta, lancée fin 2018, n’a pas permis d’inverser la tendance. « Les abonnés qui s’en vont ne généraient pas de marge », s’est défendu Xavier Niel à l’occasion d’une conférence avec les analystes mardi 7 mai. Pour se refaire, Free mise sur la fibre, et espère quadrupler le nombre de clients d’ici 2024, avec 4,5 millions d’abonnés.
Plus petit que ses concurrents, Bouygues Telecom continue d’avoir des moyens limités pour investir. Or, la course à la fibre et bientôt à la 5G favorise ceux qui ont les poches pleines. Enfin, Altice Europe supporte encore une dette de 30 milliards d’euros, que Patrick Drahi a de plus en plus de mal à renégocier. Le dernier refinancement annoncé le 6 mai s’est conclu à un prix plus élevé qu’avant, a relaté le Financial Times.
C’est pourquoi, en 2018, Bouygues Telecom et SFR ont timidement discuté en vue d’un rapprochement, signant là une énième tentative de ramener le marché à trois acteurs. Si aujourd’hui, aucun n’est acculé financièrement, l’industrie ne génère pas de croissance. En Bourse, les titres des quatre opérateurs sont en baisse sur un an. Jusqu’à quand Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free supporteront-ils cette situation ?