Sélection albums : Locatelli/Nante, Orchestre Franck Tortiller, A.A. Bondy…
Sélection albums : Locatelli/Nante, Orchestre Franck Tortiller, A.A. Bondy...
Par Franck Colombani, Pierre Gervasoni, Sylvain Siclier
A écouter cette semaine : Marianne Piketty tisse un lien entre Antonio Locatelli et Alex Nante ; Frank Zappa revisité en grand ; de la country-folk new age et insomniaque...
- Locatelli – Nante
Fil d’Ariane
Œuvres de Pietro Antonio Locatelli et Alex Nante. Le Concert Idéal, Marianne Piketty (violon conducteur)
Pochette de l’album « Fil d’Ariane », de Marianne Piketty entre Pietro Antonio Locatelli. / Evidence Classics
Il n’est pas rare de voir des compositeurs d’aujourd’hui se frotter à la musique de leurs lointains aînés par des créations en miroir censées instaurer un dialogue par-delà les siècles. Plus exceptionnelle est la démarche qui consiste à tisser un lien organique (à partir d’une note, d’un geste, d’un accord) entre les œuvres de référence et celles qu’elles ont inspirées. C’est ce qui se produit dans ce fascinant parcours suscité par Marianne Piketty entre Pietro Antonio Locatelli (représentant majeur de l’école italienne de violon du début du XVIIIe siècle) et Alex Nante (Argentin né en 1992). Amorce ou prolongement des partitions du virtuose d’antan (principalement des concertos grossos), chaque page de notre jeune contemporain est un chef-d’œuvre de diffraction sensible, aussi intelligemment écrit que profondément ressenti. A preuve, le passage d’une gigue (baroque) à l’autre (moderne) au cœur d’un album à l’éclairage stroboscopique. A la tête de son ensemble, le bien nommé Concert idéal, Marianne Piketty déroule avec art la pelote de fils violonistiques dans un labyrinthe dont, comme nous, elle ne semble pas vouloir sortir. Pierre Gervasoni
1 CD Evidence Classics.
- Orchestre Franck Tortiller
Shut Up’n Sing Yer Zappa
Pochette de l’album « Shut Up ’n Sing Yer Zappa », de l’orchestre Franck Tortiller. / LABEL MCO
Comme un écho à la parution récente des enregistrements du grand orchestre éphémère monté par Frank Zappa fin décembre 1976 pour quelques concerts, le nouvel album du vibraphoniste Franck Tortiller est consacré à la musique du compositeur et guitariste américain, là aussi dans la forme d’une grande formation (avec vents et violon, instrument souvent convoqué par Zappa). Ce Shut Up’n Sing Yer Zappa, au titre clin d’œil à une série d’enregistrements de Zappa en soliste à la guitare, est une belle réussite. S’y combinent des développements de pièces originellement courtes, Montana, Mother People/Igor’s Boogie, Joe’s Garage, traité en ballade rêveuse entremêlée de citations d’autres thèmes – dont l’arrangement pour vents de Zappa sur Stairway to Heaven, de Led Zeppelin – ou Andy, avec ces infernales sautes rythmiques et pièces au long cours réinventées, Brown Shoes Don’t Make it, Florentine Pogen. Précision de l’interprétation, inventivité dans la recréation, tout ici est à la hauteur de son sujet. Sylvain Siclier
1 CD Label MCO.
- A. A. BONDY
Enderness
Pochette de l’album « Enderness » d’A. A. Bondy. / FAT POSSUM/DIFFER-ANT
Avec son splendide troisième album solo, Believers (2011), le chanteur et multi-instrumentiste californien A.A. Bondy laissa une empreinte profonde sur le chaud goudron de l’autoroute country-folk alternative. Huit années séparent ce disque de son successeur, Enderness, fruit d’une remise en question artistique longuement mûrie : sa country a désormais viré new age et la guitare folk figure aux abonnés absents. Pour la petite histoire, à peine avait-il achevé son quatrième opus que sa maison et son matériel furent détruits le lendemain par le grand incendie qui ravagea la Californie, à l’été 2018. De là à penser qu’une malédiction plane sur cet album miraculé est un pas que nous ne franchirons pas, mais des fantômes l’habitent assurément. Composé et enregistré en autarcie à l’aide de synthés analogiques et d’une batterie rêche, Enderness est un disque insomniaque, propice à l’abandon, voire à l’isolement. Une pop gothique minimaliste cousine de Timber Timbre (pour cette voix à la douce mélancolie), enveloppée d’une atmosphère urbaine, crasse, aux relents de Suicide et de The Idiot, d’Iggy Pop. Singulièrement captivant. Franck Colombani
1 CD Fat Possum/Differ-ant.